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Promesses tenues - Une interview de Lise de la Salle
On la suit depuis dix ans et, à chaque étape, Lise de la Salle a grandi dans notre estime : elle est en passe de devenir simplement l’une des maitres pianistes de sa génération. Son dernier disque, consacré à Chopin, montrait à l’œuvre une sonorité sensiblement élargie, un aplomb pianistique jamais démonstratif, une musicalité sans la moindre affectation allant droit au cœur des œuvres. Son récital au Théâtre des Champs-Elysées(le 24 janvier) affiche une triade sacrée : Chopin, Liszt, Schumann. Voudrait-elle renouer avec les programmes sans à côté tels que les concevaient les grands anciens, de Backhaus à Arrau ? Ce rendez-vous singulier valait bien un entretien.
Votre famille compte au moins une pianiste concertiste qui vous aura précédée, croyez-vous dans la transmission génétique ?
LISE DE LA SALLE : C’était mon arrière-arrière-grand-mère, elle était concertiste à Saint-Pétersbourg. Mais je ne crois pas vraiment à toutes ces histoires de gènes. Je crois plutôt à la culture, j’ai baigné, si je puis dire depuis ma conception dans la musique, car à la maison mes parents écoutaient beaucoup de lyrique, opéra, mélodies. Si l’inné a peut-être joué un rôle dans l’éclosion de mon talent, c’est d’abord l’acquis qui l’a révélé.
Alors justement, quels professeurs vous ont le plus marquée ?
L.D.L.S : J’ai eu la chance de suivre un parcours atypique. Peu de professeurs, mais qui m’ont durablement marquée, en ayant le bonheur de ne pas connaître d’expériences négatives. Parfois vous passez entre les mains de pédagogues qui ne vous font pas que du bien… Celui qui m’aura le plus apporté est sans conteste Pascal Nemirovski. J’ai suivi son enseignement en dehors du Conservatoire, en cours privés. Il m’a donné les clefs qui m’ont permis de trouver la vraie nature de ma sonorité et également une technique très sûre, qui me permet d’éviter les incidents physiques, les tendinites et autres symptômes chroniques dont les pianistes ont à souffrir trop souvent. Nous avons beaucoup discuté autour de l’influence de la voix sur le jeu instrumental, une donnée essentielle pour moi. Pierre Réach, puis Bruno Rigutto m’ont également beaucoup apporté. Et je garde un souvenir ému de mes nombreuses rencontres avec Geneviève Joy-Dutilleux. Lorsque je lui rendais visite tous les six mois nous passions l’après-midi non seulement à jouer du piano, mais à échanger autour de la musique. Elle m’a donné très peu de conseils mais ils me servent toujours aujourd’hui.
Un des éléments saillants de votre jeu est une grande simplicité allié à un art de la phrase musicale quasiment vocal.
L.D.L.S. : Je suis heureuse que vous notiez cela, car je tiens en premier lieu à cette simplicité. Trop souvent les pianistes ont un penchant dangereux pour le détail, une volonté trop marquée de souligner telle voix artificiellement, danger tentateur chez un instrument naturellement polyphonique comme l’est d’abord le piano. A la fin, cette tentation d’un certain maniérisme me semble défigurer l’équilibre naturel des œuvres. Je cherche toujours la ligne de chant ; c’en est au point que, lorsque je joue, je fredonne intérieurement pour suivre la voix principale. La ligne de chant d’abord. Cela vient probablement du fait que ma mère chantait (1), d’ailleurs on n’écoutait guère de piano à la maison, mais du Lied et de l’opéra. Les grands chanteurs ont d’ailleurs ce don et cette force d’être compris immédiatement quelque soit la langue qu’ils emploient. J’essaye de retranscrire cela quand je joue, cette communication immédiate entre l’interprète et celui qui l’entend.
Avez-vous des pianistes modèles ?
L.D.L.S. : J’écoute toujours beaucoup Sviatoslav Richter, je me retrouve souvent dans ses choix d’interprète, j’aime sa sonorité et plus encore sa manière sans « chichi », comme le disait Madame Joy, d’aborder la musique. Cette façon qu’il a de parler directement à chacun. Et j’ai beaucoup écouté et j’écoute toujours Rachmaninov. Même en pensant qu’il est avant tout compositeur, cette manière qu’il a de jouer sans s’encombrer du moindre maniérisme, sans aucun détour, sans tralala, c’est quasiment une éthique. Récemment j’ai découvert Annie Fischer dans le jeu de laquelle je retrouve ces caractéristiques. Je ne comprends pas qu’on la connaisse si peu, c’est une des grandes pianistes du XXe siècle.
Comment concevez-vous l’évolution de votre répertoire ?
L.D.L.S. : J’ai envie de rester ouverte à tout, j’aime profondément la musique et je ne veux pas me limiter, même si je sais que j’aurais pu passer ma vie dans l’œuvre de Mozart ou dans celle de Chopin ou dans celle de Schuman, Bach, ou Beethoven. J’essaye de faire partager mon goût des découvertes musicales au public. Pour les deux années qui viennent j’aborderai un compositeur que j’aime énormément mais auquel je n’avais pas encore touché : Brahms. Je vais entrer dans son univers pianistique par le 1er Concerto et les Variations Haendel. Oui, ce sont des chefs-d’œuvre, mais je crois qu’il faut d’emblée se mesurer aux œuvres importantes si l’on s’en donne le temps. J’ai abordé Chopin par le 2ème Concerto et les quatre Ballades.
Votre carrière s’est beaucoup développée depuis dix ans, quelles sont les capitales culturelles qui vous sont le plus chères ?
L.D.L.S. : En Europe Vienne et Berlin, bien entendu pour leurs vies artistiques mais aussi en tant que villes, chacune possédant une atmosphère très singulière. A chaque fois que je me suis trouvée à Londres j’ai ressenti une sorte d’euphorie. Je citerais bien Paris, mais au fond j’y sors assez peu au concert et ne m’y produit qu’une fois par an, deux tout au plus. Paris est la ville où je travaille et où je vis, cela fausse la donne. Mais ce qui m’a le plus impressionné reste le développement musical de l’Asie. Le Japon en est un exemple bien connu, mais lorsque vous abordez la Corée, Singapour, la Chine, lorsque vous vous trouvez devant ces salles de concerts exceptionnelles, devant ce public qui semble infini, cela devient vraiment une expérience fascinante.
Parmi les chefs avec lesquels vous vous êtes produite quels sont ceux qui ont vos faveurs ?
L.D.L.S. : J’ai beaucoup joué avec Fabio Luisi, avec lequel j’ai réalisé mon dernier disque (2). Nous parlons peu mais nous nous comprenons profondément. Nous avons la même conception des œuvres, le même rapport à la musique. Avec lui tout coule de source. J’ai une grande affection pour James Conlon qui lui parle beaucoup ; c’est toujours un plaisir d’échanger avec cet homme enthousiaste dont la culture semble sans borne. Et je garde un souvenir ému de Charles Mackerras avec lequel j’ai eu la chance de jouer peu de temps avant sa disparition. Je me souviens de son grand sourire durant l’andante du concerto de Mozart que nous interprétions ce soir-là. J’aurais aimé jouer encore avec lui.
Votre programme du 24 janvier au Théâtre des Champs-Elysées est consacré à trois figures centrales du piano romantique…
L.D.L.S. : J’ai souvent mis en regard deux compositeurs très éloignés dans le temps mais reliés par une sorte d’esprit commun selon moi, comme par exemple Mozart et Prokofiev, mais je crois également aux vertus des grands programmes classiques, qui ont d’ailleurs un peu disparu des salles de concerts, peut-être à cause de la difficulté, technique comme musicale, qu’ils supposent. Je sais que je me confronte à trois chefs-d’œuvre, c’est un défi. Pour les Etudes symphoniques de Robert Schumann j’ai tenu à inclure les variations posthumes qui participent pleinement au rayonnement de l’œuvre. Ce récital est aussi une illustration de mes dernières années de travail : mon dernier disque était consacré à Chopin, le prochain, que je viens de finir d’enregistrer, sera dévolu à Liszt. Au côté de la Sonate après une lecture de Dante j’ai voulu alterner des pièces de la fin de sa vie avec quelques transcriptions.
Propos recueillis par Jean-Charles Hoffelé, le 13 janvier 2011
(1)Anne de la Salle, malgré un joli brin de voix, s’est d’abord imposée par ses collages, narratifs et poétiques à la fois, dans le sillage des univers de Prévert et de Max Ernst (www.annedelasalle.com).
(2)1 CD Naïve V5215
Récital de Lise de la Salle
Œuvres de Chopin, Liszt, Schumann
24 janvier - 20h
Paris, Théâtre des Champs-Elysées
www.theatrechampselysees.fr
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Photo : DR
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