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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Luca Francesconi - La musique, au-delà des mondes connus
Une photographie célèbre le montre en compagnie de Luciano Berio, dont il fut l'assistant au Festival de Tanglewood. Et l'on trouverait à l'évidence dans la musique de Luca Francesconi, né à Milan en 1956, de nombreux parallèles avec celle de son aîné, à commencer par son usage, par amour, de la voix.
Mais, en ce soir de mars, installé dans le studio de l'Ircam où il vient de passer de longues journées à travailler sur son opéra Quartett, créé en avril à la Scala de Milan, ce n'est pas tant la voix qui le préoccupe, ou la tradition musicale dans laquelle il pourrait s'inscrire. C'est que la musique, pour Luca Francesconi, est avant tout affaire de civilisation. Il ne s'agira jamais pour lui de reproduire l'existant. « On ne peut pas composer de la musique comme si c'était la chose la plus normale du monde, dit-il. Ce serait forcément faire de l'académisme, du maniérisme – et quelle qu'en soit la manière : post-spectrale, post-ircamienne, néo-tonale, néo-minimaliste, post-boulézienne, post-Lachenmann, post-n'importe quoi... ». Au contraire, le compositeur assume son rôle de chercheur, qui s'assigne comme but de « repousser les frontières » du monde connu. Chercheur, mais aussi voyageur : les mots de Baudelaire (« Dites, qu'avez-vous vu ? ») qui viennent rythmer le superbe Etymo n'est-elle pas le blason de toute curiosité ? Il s'agit surtout de ne pas se laisser prendre au piège d'une culture qui serait pensée comme immobile, invariable : « En-deçà de ces frontières, si on reste dans le territoire certain, c'est comme jouer avec des briques de Lego ; tout est catégorisé, tout peut être vendu, y compris les émotions ».
La difficulté, souligne Luca Francesconi, est de penser l'œuvre dans un monde où on l'a proclamée défunte : « Intégrer toutes les diversités et les rationaliser à tout prix a abouti l'hybris, à la prétention d'épuiser la totalité du monde dans sa description ». Luca Francesconi ne renie certes pas l'esprit d'analyse, « l'un des piliers de la culture occidentale », qui a été celui des « pères » de la « musique contemporaine » (Berio bien sûr, mais Boulez, Stockhausen ou Maderna) ; il refuse cependant « l'hypernotation maladive, qui nie la possibilité d'un monde non-formalisable », une attitude qu'il rapproche du cri de dépit de Merteuil dans Quartett : « Quel tourment que de vivre et de n'être pas dieu ! ».
Ce compositeur engagé – « mes fonctions "publiques" à la Biennale de Venise ou au festival Ultima d'Oslo sont le prolongement politique de mon travail de chercheur », dit-il – sent le danger d'une culture nouvelle, manipulatrice, portée par de « mauvais maîtres » qui tenterait de justifier « la perte du corps, de la mémoire, du silence, du temps – de tout ce qui est l'héritage le plus important de la culture occidentale – au profit d'une dimension "horizontale" de la connaissance » et d'un asservissement par la technique.
Écrire pour la voix serait-il, alors, une façon de contourner la technique ? « C'est tout le contraire, répond immédiatement Luca Francesconi. Utiliser la voix, surtout à l'opéra avec un texte compréhensible, c'est comme être nu ; le grand problème est de se confronter avec l'univers sémantique. Il faut céder un peu de complexité dans une langue pour être fécondé par l'autre. C'est le secret de l'opéra. On ne peut pas avoir le niveau de complexité d'une œuvre purement instrumentale quand on utilise la scène, les images... ».
Jean-Guillaume Lebrun
(propos recueillis le 8 mars 2011)
Prochaine création : Quartett, opéra d'après Heiner Müller à la Scala de Milan du 26 avril au 7 mai 2011. Rens. : www.teatroallascala.org
À écouter : Etymo et autres œuvres par l'Ensemble intercontemporain dirigé par Susanna Mälkki (Kairos)
À voir : de nombreux extraits d'œuvres de Luca Francesconi sont accessibles sur le site Youtube : http://www.youtube.com/user/6591lucaf
Photo : DR
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