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Parsifal selon François Girard à l’Opéra de Lyon - L’évidence - Compte-rendu
Dans l’antre de Klingsor, les filles-fleurs «démonisées» par le mage apportent en lent cortège… un lit. L’intrusion, dans une mise en scène jusque là si parfaite, la plus belle et la plus simple à vrai dire qu’on ait vue de Parsifal, cet éternel abonné aux délires des régisseurs, d’un élément aussi réaliste, aussi explicite – on sait bien que ce sera l’atout inefficace de Kundry pour détourner le chaste fol – aussi terriblement bourgeois reste le seul hiatus de la soirée. On le souligne ici d’autant plus que de ce meuble François Girard ne fait rien. Kundry s’y assoit, Parsifal lui reste indifférent, pourquoi dès lors s’en encombrer au risque de faire retomber la noire tension qui emporte un second acte d’anthologie ?
Le spectacle doit aller au Met – où Parsifal sera étrenné par Jonas Kaufmann – si ce lit pouvait sombrer dans l’Atlantique …
François Girard dispose d’un atout essentiel pour l’ultime ouvrage de Wagner : il ne craint pas la présence des chœurs en scène, les chorégraphiant dans la musique. L’assemblée des chevaliers réunie en cercle accomplit un immense office durant tout le I, ondulant dans les replis de l’orchestre. Hommes et femmes (celles-ci tout en noir, sorcières plus que tentatrices) sont séparés par une faille où s’écoule la mystérieuse source. Deux connaissances s’opposent, deux univers. Seule Kundry pourrait les unir. Mission impossible.
Dans ce monde immobile et minéral, Girard déploie un temps théâtral clouant par sa poésie, tout entier incarné en une direction d’acteur où chaque geste porte. L’eucharistie du I durant la Verwandlungmusik, avec son incroyable jeu de planètes (enfin une utilisation appropriée de la vidéo au théâtre lyrique !) nous a tiré des larmes, rappelant que le rite est d’abord une émotion. Tout le III est stupéfiant de poésie dans le renoncement et le II filé d’un seul vaste geste n’est plus composé de trois épisodes (incantations de Klingsor, jeux des filles-fleurs autour de Parsifal, confrontation de celui-ci avec Kundry) mais déploie un poème visuel très noir, suprêmement angoissant. Tout devient évident, on ne cherche pas de sens caché, on ne prétend à aucune exégèse, l’œuvre devient enfin ce monolithe de sens sur lequel des êtres humains se brisent les uns après les autres.
Le plateau est à l’unisson de la lecture évidente du metteur en scène. On admire sans réserve le Gurnemanz de Georg Zeppenfeld, altier, jeune, à la voix plus mordante, plus claire que les éternels violoncelles qu’on y distribue. Deux mots du Titurel de Kurt Gysen font trembler tout le théâtre, venus des coulisses transformées en abîmes. Nikolai Schukoff montre une prestance, une ardeur juvénile, et en place de naïveté une simple incompréhension puis le sentiment d’être l’élu, qui dessinent avec art l’évolution de Parsifal, et la voix est splendide, royale. Jonas Kaufmann pourra voir en lui le parfait rival dans cet emploi. Alejandro Marco-Buhrmester serait-il en passe de devenir le Klingsor de sa génération comme on l’entend si souvent ?
Le métal du timbre, le tranchant des mots ne suffisent pourtant pas à masquer un manque de noirceur dans le grain, et son amertume ricanante finit par manquer du mystère qui a fait les grands Klingsor, de Gustav Neidlinger à Zoltan Kelemen en passant par Hermann Uhde. Klingsor hante encore le chant de Gerd Grochowski qui l’incarna si longtemps : son Amfortas est plus fureur que douleur. Plus Vénus que Kundry (de timbre, de propos, il lui manque le sens de la magicienne, son rire sonne mécanique), Elena Zhidkova chante de bout en bout avec flamme et style mais sans aucun poison dans la voix, péché véniel pourtant, car on préfère cette tenue au débraillé habituel que subit le personnage depuis une bonne décennie. Mais ce plateau exceptionnel est à peine soutenu par un orchestre quasi exsangue, sans timbre, sans rythme, sans présence. Kazushi Ono n’a pas trouvé la clef de Parsifal. Un concert Wagner donné la veille par l’orchestre - probablement épuisé par les représentations – nous avait alerté par ses bois peu justes, ses cordes éteintes, et déjà l’incapacité chronique du chef à comprendre le temps wagnérien, comme si il se trouvait interdit par la syntaxe de cette langue. Heureusement la Brünnhilde éclatante d’Ann Petersen, de son soprano haut placé et rayonnant, avait mis le feu au théâtre. Quelle Immolation pour cette fois, et quelle Isolde elle nous promet pour demain. Suivez cette voix !
Jeran-Charles Hoffelé
Wagner : Parsifal - Lyon, Opéra, 17 mars, prochaines représentations : 20, 23 et 25 mars 2012
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Photo : Jean-Louis Fernandez
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