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« L’universalité du chant se trouve dans la simplicité » - Une interview de Philippe Jaroussky
Juste avant de s’accorder une « pause vocale » de plusieurs mois, Philippe Jaroussky revient sur son dernier enregistrement, l'Artaserse de Vinci(1), ouvrage qu’il a récemment interprété sur scène à Dijon et à Paris, et évoque le travail particulier de la voix de contre-ténor.
Votre premier ensemble fondé en 2002 s’appelait « Artaserse ». Dix ans plus tard, enregistrer l’opéra de Vinci du même nom : c’est un retour aux sources ?
Philippe JAROUSSKY : Ce n’était en effet pas un hasard. Artaserse, c’est le livret le plus souvent mis en musique. L'idée qu'on ne sait pas toujours comment le prononcer m'amusait aussi. Je trouvais qu’il sonnait bien. Le nom intriguait les gens. Et surtout, c’est la musique napolitaine par excellence, composée pour les voix.
On trouve pas moins de cinq contre-ténors à l'affiche de cette production. Un tel défi aurait-il été possible il y a encore quelques années ?
P. J. : Peut-être pas. La voix de contre-ténor attise les passions. Elle a ses fans et ses détracteurs, et chaque auditeur peut avoir ses préférences. Mais elle est beaucoup plus variée qu’on ne le pense souvent. Elle offre des timbres très différents, comme celui de Franco Fagioli sur le disque. On dirait Cecilia Bartoli ! Sur la tournée, les gens pouvaient être interloqués à l'idée d'aller entendre une distribution entièrement composée de contre-ténors. En général, ils ont été agréablement surpris de la variété des voix.
Vous avez beaucoup contribué à faire de la voix de contre-ténor une voix naturelle, à part entière, alors qu’elle a souvent été considérée comme la voix artificielle par excellence, attisant les passions effectivement. Etait-ce délibéré ?
P. J. : Absolument. Le naturel, c’est ce que j’ai toujours vraiment travaillé avec mon professeur, Nicole Fallien. C’est une conception du chant ; j’ai toujours recherché une certaine simplicité dans les effets. La voix de contre-ténor est très difficile parce qu’elle ne correspond pas à la voix parlée. Le naturel est donc plus difficile à obtenir. Je travaille d’ailleurs souvent avec ma voix naturelle de baryton pour garder ce lien physique. Je n’ai jamais cherché à plaquer des effets qui seraient personnels. Haendel, Vivaldi ou Monteverdi sont des compositeurs suffisamment précis pour qu’on commence d’abord par respecter la partition avant de chercher des effets de signature.
L’universalité du chant se trouve dans la simplicité. Si c’est ce qui a pu permettre à la voix de contre-ténor de devenir une voix à part entière, tant mieux.
C’est ce qui est très beau dans votre chant. Vous maîtrisez à la fois toute la technique et l'ornementation du bel canto baroque tout en gardant une forme de naturel...
P. J. : C’est ce que je recherche. Ce qui n’empêche ni de gagner en brillance, ce que je crois avoir fait, ni d’aimer l'expressionnisme, même si je ne suis pas Max Emanuel Cencic ! (rires)
Quelles sont justement à vos yeux les différences entre la voix de Cencic et la vôtre ?
P. J. : J’ai une voix beaucoup plus claire, idéale pour les nuances et les pianissimi. Max a une voix beaucoup plus charnue, très riche dans les graves, qui lui permet de faire des disques que je ne ferais jamais, comme son récital Rossini. Comme il le dit lui-même, il est beaucoup plus proche d’un mezzo-soprano.
Dans votre parcours, et malgré le succès, si j'ose dire, vous avez toujours pris soin d’aller chercher des musiques parfois moins connues, comme pour votre « Concert pour Mazarin », y compris jusqu'à la musique contemporaine. C’est aussi pour prendre le temps de recherches musicologiques que vous vous accordez quelques mois sabbatiques ?
P. J. : C’est une pause vocale que j’ai décidée sur les conseils d’Alexandre Tharaud il y a trois ans, avant tout pour prendre une distance par rapport au métier. C’est aussi sans doute pour moi effectivement l’occasion de travailler plus profondément. On s’éparpille vite dans les tournées. C’est une façon pour moi d’essayer d’offrir au public le maximum de ce que je peux faire à chaque fois.
Mais je serai de retour en septembre ; ce sera vite là !
Le Concerto Köln qui vous accompagne dans l’enregistrement d'Artaserse joue souvent sans chef. Cette fois, c'est Diego Fasolis qui le dirige. Que lui a-t-il apporté ?
P. J. : C’est l’année Diego Fasolis ! Il a déjà accompagné Max et était déjà cette année sur le disque de Cecilia Bartoli. C’est un homme de théâtre autant qu’un claveciniste. Il aime les chanteurs et sait suggérer plutôt qu’imposer en respectant l’identité de chacun, en plus d’avoir un charisme naturel. Il a un sens rythmique incroyable ! Le concerto Köln est un orchestre très virtuose mais il leur a apporté une respiration et un sens des contrastes particuliers. Il a insufflé beaucoup d’italianité sur ce projet. C’est d’autant plus important qu’Artaserse représente l’opéra napolitain par excellence.
J’espère vraiment qu’on pourra refaire des opéras ensemble.
Pour finir, quelle voix auriez-vous aimé avoir si vous n’aviez pas la vôtre ?
P. J. : Oh, c’est difficile... Je crois que j’aurais aimé avoir une voix de ténor pour pouvoir chanter du Puccini ! Ce doit être vraiment excitant toutes ces décibels pour chanter l’amour ! (rires)
Propos recueillis par Luc Hernandez, le 22 novembre 2012
(1) Artaserse de Vinci est disponible chez Virgin Classics, tout comme la compilation des meilleurs moments de Philippe Jaroussky en concert, en CD et DVD, intitulée « La Voix des rêves ».
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