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La Compagnie Tero Saarinen et la Boston Camerata à Chaillot – Noir c’est noir – Compte-rendu
Fond noir, costumes noirs, musique noire, pourtant, c’est à la lumière que fait allusion le titre de la pièce, Borrowed light, présentée par la petite compagnie finlandaise de Tero Saarinen. Un voyage dans le temps et l’âme qui commence par vous engourdir puis lentement vous mène jusqu’à une exaltation de vie qui ressemble à une transe. L’enjeu est complexe, osé, et pourtant tout naturel: Saarinen, prodigieux danseur contemporain qui s’est fait remarquer comme interprète étrange et ambigu du fameux solo Blue Lady de Carolyn Carlson, est un nordique pur et dur. Comme chez Mats Ek, le grand suédois, son style est marqué par une lourdeur corporelle qui donne à ressentir les corps comme une force bien plus présente que celles engendrées par une recherche esthétique à l’européenne, ou intellectuelle à l’américaine.
Ici ce n’est pas l’esprit qui va éclairer et diriger le corps, mais ce dernier, qui par le mouvement, la répétition, une simili-improvisation, le choc avec les autres, va dégager des influx spirituels. On est très proche de toutes les danses mystiques du monde, mais non sacrificielles: proche des derviches, des indiens d’Amérique, du monde du gospel aussi. Et pour ce dernier pas par hasard : Saarinen, qui travaille avec la Boston Camerata de Joel Cohen depuis dix ans, a été initié par ce superbe ensemble aux chants de la communauté Shaker, ces descendants de nos camisards fuyant la révocation de l’Edit de Nantes et allant implanter au Nouveau monde leur soif de pureté et d’austérité. Si grande soif que la communauté, passablement abstinente, est aujourd’hui quasi éteinte. Mais pas ses chants, d’une grande et austère beauté, a cappella comme le grégorien, sur des mélodies étales ou répétitives. Pour les soirs de deuil, on conseillera donc les albums enregistrés par la Camerata, dont Simple Gift, où ont été puisés les airs utilisés dans Borrowed Light, pieusement collectés par les musiciens de Boston.
Donc, ils tournent, sur eux-mêmes, dans des tenues minimalistes proches des kimonos d’arts martiaux, ils tapent du pied avec leurs grosses chaussures, largement, profondément, non pour marquer des rythmes et s’envoler mais comme pour imprimer leur existence sur la terre. Les filles, bizarrement, se propulsent les jambes écartées de face, axées sur un noyau originel, au sein d’une communauté des corps qui s’établit peu à peu, à coups de secousses de désir, d’hostilité et finalement d’épanouissement de l’ensemble vers l’indicible. Tout cela, Saarinen et ses magnifiques huit danseurs le disent très bien, même si le mode de la transe peut laisser songeur sur l’intérêt des émotions ressenties. Valser donne le vertige, c’est bien connu, de là à en faire un instrument de connaissance ! Mais il y a la beauté des chants modulés par la Boston Camerata, et l’étrangeté de cette approche très sincère et non sans impact. Non une régression, mais un retour aux sources : celles de Lascaux, par exemple ?
Jacqueline Thuilleux
Borrowed Light, Compagnie Tero Saarinen / Boston Camerata. – Paris, Théâtre national de Chaillot, 14 mars 2014
Photo © Sakari Viika
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