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Rencontre avec... un compositeur contemporain - Toshio Hosokawa - La musique est un pont entre deux mondes
Du 30 septembre au 3 octobre, l’opéra Matsukaze de Toshio Hosokawa occupe la scène de l’Opéra de Lille pour trois représentations, dans une mise en scène de Sasha Waltz et sous la direction de David Robert Coleman. A cette occasion, Jean-Guillaume Lebrun trace un portrait d’une figure majeure de la création musicale contemporaine au Japon.
Quand il se rend en Europe en 1976 pour y suivre l'enseignement d'Isang Yun à Berlin, Toshio Hosokawa, alors âgé de 20 ans, est bien loin de se reconnaître dans la tradition musicale japonaise. « Je n'aimais pas cette musique », reconnaît-il. Sa mère pourtant est joueuse de koto, sorte de cithare inséparable du théâtre de marionnettes bunraku. Mais, pour le jeune musicien, qui a commencé le piano à l'âge de 4 ans et se passionne pour Mozart et Beethoven, la musique japonaise représente le passé et seule la modernité l'attire. La modernité, c'est-à-dire la musique occidentale.
En fait, c'est au cours de ses années européennes que Toshio Hosokawa découvre véritablement la musique de son pays. « Jusqu'alors, je connaissais la musique japonaise puisque j'en avais souvent entendu étant enfant, mais je ne l'écoutais pas comme une musique. Et puis, un jour, à Berlin, j'ai entendu du gagaku. Pour moi, c'était à la fois quelque chose de très ancien et de très nouveau : j'y retrouvais les micro-intervalles, les couleurs nouvelles et changeantes, les sons bruités qui étaient au cœur de la musique contemporaine européenne que j'étudiais alors ».
Matsukaze (m.e.s. Sasha Waltz) © Bernd Uhlig
Deux mondes
L'œuvre de Toshio Hosokawa va se construire sur cette double attraction des musiques occidentale et japonaise. Élève de Klaus Huber à la Hochschule für Musik de Fribourg à partir de 1982, il s'intéresse désormais de très près aux instruments traditionnels comme le montre son Nocturne pour koto, tout autant ancré dans le langage de l'avant-garde européenne que respectueux de la tradition de la musique de cour gagaku. Il suit en cela l'exemple de Tōru Takemitsu (1930-1996), dont l'œuvre November Steps (1967) pour biwa, shakuachi (respectivement un luth et une flûte droite) et orchestre, a fortement marqué Toshio Hosokawa. Comme son aîné, il confronte son écriture aux sonorités des instruments japonais et occidentaux : « Les instruments sont très différents ; la flûte et le shakuachi par exemple ne sont pas équivalents. Quand j'écris pour la flûte, je cherche à en faire un autre instrument, ni flûte ni shakuachi, mais que seule la flûte pourrait jouer ». À son tour, il compose de nombreuses œuvres où sont réunis les deux univers instrumentaux, comme les concertos Autumn Wind (pour shakuachi et orchestre, 2011) ou Cloud and Light (pour shō – un orgue à bouche présent dans les orchestres gagaku – et orchestre). Plus souvent encore, la voix chantée et le koto s'associent en un dialogue avec l'orchestre. Ces œuvres concertantes viennent se ranger dans le riche catalogue du compositeur auprès de celles dédiées aux instruments occidentaux, du violon à la flûte en passant par le saxophone ou l'accordéon.
L'espace et le temps
« Dans mes concertos, le soliste est l'être humain et l'orchestre est la nature » dit encore Toshio Hosokawa. Et de fait, il y a toujours dans sa musique l'impression d'un espace ouvert et l'omniprésence du paysage (qui donne son nom – Landscape, Seascape, Landschaft – à de nombreuses partitions). « Ma musique est une calligraphie. Le papier blanc est à la fois l'espace et le temps de la musique. Les lignes que j'y trace font naître le son et apparaître le silence ; et cet espace blanc est aussi important que les lignes elles-mêmes ».
À l'écoute, cette profondeur de l'espace musical est sensible. Elle sert aussi le propos de ses œuvres scéniques, parmi lesquels trois opéras : Vision of Lear (1998), Hanjo, créé en 2004 au festival d'Aix-en-Provence dans une mise en scène d'Anne Teresa de Keersmaeker, et Matsukaze (2011) que l'Opéra de Lille reprend dans la production originale de la chorégraphe Sasha Waltz. « Mes trois opéras sont basés sur le théâtre nô. Or, le nô met toujours en scène le passage du monde réel vers « l'autre monde ». Cette double dimension est toujours présente dans mes opéras, ma musique formant en quelque sorte le pont entre deux mondes : entre la vie et la mort, la conscience et l'inconscient, le monde réel et celui des rêves ». C'est le cas aussi dans le monodrame The Raven, d'après la nouvelle d'Edgar Poe (« Le corbeau »), présenté en février dernier aux Bouffes du Nord : l'orchestre semble ouvrir ce passage.
Un passage où, comme dans le théâtre nô, le temps s'arrête et se suspend. La musique de Toshio Hosokawa, même quand elle emprunte des formes relativement brèves, suscite toujours le sentiment de la durée. Pour le compositeur, en effet, le temps « circule » au sein du temps de l'œuvre : « c'est comme une spirale : lorsque l'on est au cœur même de ce temps, la perception en est très différente ». Cette conception du temps métaphysique est pour Toshio Hosokawa la matrice d'une œuvre passionnante, une musique en laquelle on s'absorbe, qui invite à l'écoute des frontières entre le son et le silence, entre l'action et la méditation.
Jean-Guillaume Lebrun
Propos recueillis le 29 mars 2014 à Monaco, à l'occasion du Printemps des Arts de Monte-Carlo.
À voir : Matsukaze à l'Opéra de Lille - 30 septembre, 2 et 3 octobre 2014 (à 20h). www.opera-lille.fr
À écouter : Concertos (2CD Neos), Silent Flowers (œuvres pour quatuor à cordes, 1 CD Wergo)
Deep Silence (œuvres pour shō et accordéon, 1 CD Wergo), Metamorphosis et autres œuvres pour orchestre (1 CD Stradivarius), Orchestral Works vol. 1 (1 CD Naxos)
Photo © Kaz Ishikawa
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