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Interview de Eric Huchet, ténor – « Il faut apprendre à patienter, à ne pas brûler les étapes »
Ténor de caractère ? Trop simple. Ténor avec du caractère conviendrait sans doute mieux à Eric Huchet, solide gaillard venu au chant sur le tard, mais avec un appétit, une disponibilité et une curiosité qui font souvent défaut à des musiciens mis trop tôt et trop vite sur les rails. Habitué à défendre des personnages issus de répertoires très variés, de l’opéra à l’opéra-comique, Eric Huchet sera bientôt Cantarelli dans Le Pré aux Clercs de Ferdinand Hérold (1791-1833), présenté du 23 mars au 2 avril à la Salle Favart dans une mise en scène d’Eric Ruf et sous la baguette de Paul McCreesh
Avant d’envisager sérieusement une carrière lyrique vers trente ans, vous avez été informaticien. Comment ont réagi vos proches lorsque vous avez choisi cette voie à l’heure où certains sont déjà depuis longtemps sur scène ?
Eric HUCHET : A trente ans, je n’avais heureusement plus le poids de mes parents, j’ai donc été confronté à un choix de couple et avec ma femme de l’époque, nous avons fait en sorte que tout soit possible. Je faisais des calculs de structures pour des charpentiers et avais commencé des études dans un conservatoire parisien, mais le vrai départ date de 1992, lorsque j'ai pris la décision de me rendre en Autriche et d'intégrer la Hochschule für Musik de Vienne, un vrai saut dans le vide, teinté pourtant d’espoir, car j’avais la certitude que quelques portes allaient s'ouvrir.
Quelle place tenait la musique dans votre jeunesse ?
E.H. : Je n'ai pas fait de musique enfant, mes premiers cours de solfège je les ai pris à la Hochschule et un peu avant au conservatoire. A la maison nous écoutions la 9ème de Beethoven, Le Lac des Cygnes, mais en petite quantité ! Plus tard, mon ex-femme m'a influencé car elle chantait dans un chœur amateur et m'a convaincu de la suivre. Au début des années quatre vingt j'ai été animateur sur une radio libre : à cette époque j'étais fan de musique californienne. Quand je chantais dans la voiture on me disait que j'avais une belle voix, une bonne ligne de chant. J'ai eu quelques réticences avant de me décider. Je dois également préciser qu'une professeure de chant à Paris, m'a pris sous son aile, même si elle m'a souvent déconseillé d'en faire mon métier. Elle en connaissait les difficultés et m’exhortait à rester informaticien. Elle m’a pris pour un fou, mais je lui dois tout de même mon départ pour l’Autriche.
A votre avis, avec le recul, que ce serait-il passé si vous n’aviez pas suivi votre instinct et étiez resté informaticien ?
E.H. : Tout s'est fait assez naturellement, grâce à une succession de hasards et de rencontres. La vie m'a offert des opportunités et j'en ai profité. Si j’étais resté dans cette petite société je n'aurais pas fait toutes ces choses intéressantes. Mon avenir était limité en tant qu’informaticien, j'aurais pu aller plus loin en me formant, mais sans être ingénieur à la base cela était plus compliqué. Lorsque je regardais du côté de la musique, rien ne m'arrêtait.
Vers 30 ans donc, tout bascule, puisque vous décidez de vous rendre à Vienne pour étudier, ville où vous resterez pendant six ans, un moment déterminant pour la suite car vous avez rapidement débuté sur scène. La voix de ténor correspondait-elle à ce que vous souhaitiez, à ce que vous aviez imaginé pour vous lancer dans cette aventure musicale ?
E.H. : Oui, malheureusement elle me convenait. Je n’appréciais pas la caricature du ténor italien, mais pour le reste j'étais plein d'espoir. J'ai eu la chance de travailler avec Walter Berry le lied, qui m'attirait beaucoup, et j'écoutais Fritz Wunderlich. Curieusement dix ans plus tard, grâce à toute cette éducation, je me suis rendu compte que rien n’était cloisonné comme je le pensais. J’ai compris que Wunderlich chantait aussi bien l'opéra, que le lied, ou l’opéra-comique et qu'il n'y avait pas de différence entre lui et Pavarotti, à l’exception du timbre. La technique était la même et devait permettre d’aborder tous les genres, tous les répertoires. J’ai pris conscience de mon erreur et me suis souvenu qu'étant en chœur, il était de bon ton de n’aimer que le répertoire que l'on savait faire et de regarder de travers celui que l’on ne pratiquait pas.
Plus tard, si l’on en vient comme moi à chanter Wagner ou Strauss, on ressent alors pour la première fois des sensations et des émotions incroyables. Je comprends mieux maintenant ce que les professeurs voulaient de moi à l'époque et que je ne pouvais pas fournir Mon corps n'était pas prêt et les idées que j’avais, les sons que je souhaitais obtenir, n'étaient pas les bons.
De retour en France vous avez très vite multiplié les expériences, interprété de nombreux rôles tels que Belmonte, Ferrando, Almaviva, Jaquino et fait la rencontre de votre agent Jean-Marie Poilvé, qui a fortement influencé vos choix notamment vers l’opéra-comique et l’opérette qu’il appréciait. Etait-ce un répertoire que vous connaissiez et vers lequel vous seriez allé sans lui ?
E.H. : Oh oui, je n’avais aucun a priori contre le répertoire léger. La rencontre avec Poilvé a eu lieu avant mon départ : j'avais déposé un dossier pour obtenir une bourse à la Fondation Bleustein-Blanchet, que j'ai obtenue, et il était dans le jury avec Gabriel Dussurget. J'ai donc été en contact avec lui, il m'a laissé partir me former avant de prendre ma carrière en main. Mais vous savez ma voix n'était pas faite pour autre chose au départ, et il m'importait d’aller progressivement vers le grand répertoire. J’ai donc accepté avec plaisir ces propositions qui m’ont fait connaître l’opéra-comique. Cela est toujours essentiel, il faut apprendre à patienter, à ne pas brûler les étapes. Certains tiennent le coup, chantent tout, tout de suite, mais ils sont rares. Kaufmann avant d'être mondialement célèbre a été en troupe. Pour moi, les choses se sont enchaînées simplement, je travaillais dans des maisons intéressantes, avec des gens passionnants, et ces expériences ont été extrêmement formatrices. J’avais de l’assurance sans pour autant savoir exactement ce vers quoi je pouvais aller.
Savary avec La Périchole, Pelly avec Orphée aux Enfers, La Belle Hélène et La Grande Duchesse, Deschamps, Carsen et Ruf aujourd'hui avec ce Pré aux Clercs, longtemps à l’affiche de Favart, ont tout fait pour redonner à ces œuvres leurs lettres de noblesse. Quel regard portez-vous sur cette partition de Hérold, compositeur dont on connaît Zampa monté ici même en 2008, et sur le rôle de Cantarelli que vous tenez ?
E.H. : J’essaie toujours de partir de l'origine de l’œuvre, ici Mérimée avec la Chronique du règne de Charles IX, qui a donné Les Huguenots. Je me prépare aussi en écoutant des témoignages musicaux, sur youtube j'ai découvert un vieil enregistrement radio des années cinquante, sacrement daté. Je connaissais un peu Ruf pour avoir travaillé avec lui sur Jeanne d’Arc au bûcher à Montpellier et j'étais très heureux de le retrouver. Lire un roman, me reporter dans cette époque de cape et d'épée à la Dumas me permet de me mettre dans l'ambiance et de me jeter dans la partition avec bonheur ; Cantarelli n'existe pas chez Mérimée, mais ce n'est pas grave, c’est un personnage très amusant à camper.
Peut-on facilement aborder ce répertoire léger, malgré son sujet, dès lors que le metteur en scène le considère, je cite : « Comme un théâtre à prendre au sérieux, au premier degré, qui affiche sa volonté d’aller vers le beau », quand on sait que ces ouvrages favorisent la complicité avec le public, les clins d’œil et les sous-entendus ?
Dans le rôle d'Alfred (La Chauve-Souris) © DR / www.erichuchet.free.fr
Eric ne veut pas que le spectacle tombe dans le cape et d’épée à la manière du Capitan d’André Hunebelle, mais nous y sommes parfois confrontés et nous devons jouer le jeu. Il manque cependant une ou deux générations qui auraient pu faire le lien, car la dernière fois que Le Pré aux Clercs a été donné au Comique remonte à 1949, et à Nantes en 1990, ce qui est peu. Il faudrait que des personnes avisées puissent dirent à leurs enfants ou petits-enfants, ce qu'ils ont aimé pour qu’une vraie connivence puisse s'installer entre le public et nous. Là nous repartons à zéro. Il faut donc attirer les auditeurs vers une œuvre facile, que l'on peut chanter en sortant, car nous sommes proches de Rossini, malgré le drame qui couve. Pour éviter de sombrer dans la facilité, il faut essayer de trouver de la profondeur et ne pas oublier que dix ans avant, pendant la Saint-Barthélémy, des milliers d’innocents ont été massacrés. Cantarelli est un clown en sursis, car la Reine l'a nommé marquis, mais le jour où elle l’aura décidé, il peut plonger dans la fosse aux lions. Les intrigues dans lesquelles il entre le font déraper et c’est ce côté-là qui est drôle.
Une des difficultés de ce répertoire tient au fait qu’il faut savoir parler et chanter et passer sans heurt de l’un à l’autre : comment cette partie se travaille-t-elle et quel est le secret pour éviter le ridicule ?
E.H. : La musique donne un rythme, un tempo, un soutien, qu'il nous faut trouver dans le texte parlé avant de chanter. Les comédiens le font sans musique et nous devons veiller à respecter cela pour donner l'impression que l'on arrive à un moment où l'on ne peut plus rien faire que chanter. Quand le chef donne le temps, il faut que nous soyons prêts, tout doit donc être réalisé au cordeau. Ici le texte est long et n'a pas eu besoin d'être réécrit. Avant le public venait écouter la musique et entendre les textes pour le théâtre. Aujourd’hui la tendance est parfois de retirer du texte ou de le moderniser. Ici pas besoin, car les librettistes ont fait un bon travail.
Quels sentiments éprouvez-vous à interpréter Le Pré aux Clercs sur les lieux même où il a été créé en 1832 et où furent également donnés en première mondiale Fra Diavolo d’Auber (1830), Le postillon de Lonjumeau d’Adam (1836), La Dame Blanche de Boieldieu (1825), et tant d’autres pièces qui ont fait le succès de cet établissement.
E.H. : Il s’agit vraiment d’un théâtre spécial. J'y ai passé de nombreuses heures avec Savary, les équipes sont toujours là et les murs respirent. Il est touchant de faire vibrer cette musique qui n'existe que par nous et les instruments de l'orchestre. J'ai eu la chance de chanter des messes de Schubert et de Mozart le dimanche à Vienne et le fait de se retrouver là où les compositeurs ont accompagnés parfois leurs œuvres fait vraiment frissonner.
Vous savez sans doute que le Petit Palais présentera prochainement une exposition en partenariat avec la Salle Favart qui fête son tricentenaire, intitulée Carmen et Mélisande, drames à l’opéra comique. Avez-vous prévu de vous y rendre ?
E.H. : J'espère avoir le temps d'y aller ! Avec ce thème nous sommes vraiment dans l'essence de cette maison et cela renforce l'idée que nous sommes dans un théâtre conçu pour ces opéras. Carmen n'est pas faite pour les grands espaces. Les raisons sont évidemment d'ordre économique et les directeurs d'opéras ont des contraintes, mais vous vous rendez compte que nous sommes ici à l’Opéra Comique, dans un lieu ou l'on fait encore les teintures sur place pour les costumes : c'est fabuleux, mais pour combien de temps encore ? Ne pas voir que l'on perd du savoir-faire en limitant ce travail est à mon avis une grossière erreur pour l’avenir.
Propos recueillis par François Lesueur le 12 mars 2015.
Hérold : Le Pré aux Clercs
23, 25, 27, 29, 31 mars et 2 avril 2015
Paris – Opéra Comique
www.concertclassic.com/concert/le-pre-aux-clercs-ferdinand-herold
www.concertclassic.com/video/le-pre-aux-clercs-de-ferdinand-herold-lopera-comique
Photo © DR / www.erichuchet.free.fr
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