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Juan José de Pablo Sorozábal au Teatro de la Zarzuela de Madrid - Zarzuela tragique - Compte-rendu
Fidèle à sa programmation éclectique axée sur l’art lyrique espagnol, le Teatro de la Zarzuela ressuscite Juan José. Car l’ouvrage ultime de Pablo Sorozábal (1897-1988) n’avait jamais connu les honneurs de la scène. Composée en 1968, l’œuvre aurait dû voir le jour dix ans plus tard en ce même théâtre. Mais un conflit entre l’auteur, d’un caractère assez irascible, et la direction du théâtre conduisit au report sine die du projet. Elle ne devait être étrennée qu’en 2009, vingt ans après la disparition de Sorozábal, en version de concert à Saint-Sébastien et Madrid, assortie d’un enregistrement dans la foulée (1). C’était donc une affaire pendante, que le Teatro de la Zarzuela répare aujourd’hui par cette première scénique mondiale.
Sous-titré « Drame lyrique populaire », Juan José reprend la pièce théâtrale éponyme de Joaquín Dicenta, datée de 1895 et qui connut un certain retentissement en son temps (au point de donner lieu peu après à une adaptation cinématographique). Il s’agit d’une sombre histoire de jalousie appelée à mal finir, plantée chez les prolétaires des bas quartiers de Madrid. Le sujet oscille ainsi entre vérisme et expressionnisme. Ce que traduit la musique, qui rappellerait celle des contemporains Henze et Britten, avec quelques audaces harmoniques cruelles, teintée d’envolées à la Puccini. Mais ce qui frappe surtout, c’est l’instinct dramaturgique terriblement efficace de Sorozábal, montant en tension d’un premier acte d’exposition aux deux actes suivants menés par un souffle véritablement saisissant jusqu’à un final implacable. On ne sait s’il convient de parler du chef-d’œuvre du compositeur… Puisque pour notre part nous serions tenté de préférer La eterna canción (1945), chez cet auteur prolifique de zarzuelas.
Zarzuela ?... Juan José n’en renferme pas l’intitulé, ni même la structure, en absence de tout dialogue parlé. Mais nul doute que l’œuvre en porte la trace, par quelques réminiscences en hommage au genre (et en particulier à La verbena de la Paloma, le chef-d’œuvre de Tomás Bretón), et même par son objet : ces prolétaires madrilènes, véritables héros de la zarzuela du XIXe siècle (quand dominaient rois et princesses dans l’opéra international, jusques et y compris dans l’opérette viennoise ou Offenbach).
@ Fernado Marcos
L’œuvre méritait donc, de par son impact dramatique, de s’installer enfin sur les planches. La réalisation au Teatro de la Zarzuela le prouverait à l’envi. José Carlos Plaza signe une mise en scène sobre, tout de grisaille, comme son sujet, entre des personnages vêtus et grimés tristement, quelques ténébreuses projections et des figurants agglutinés dans des mimiques saccadées. Une illustration d’un réalisme sans lumière ni espoir, avec ce qu’il faut de pointe d’onirisme. Et le suffisant pour laisser la trame crue, à nu et à vif, prendre le dessus.
Sous la direction de Miguel Ángel Gómez Martínez, l’Orchestre de la Communauté de Madrid, titulaire du Théâtre de la Zarzuela, livre des timbres crépitants ou une ampleur débordante. Alors que les chanteurs solistes ne ménagent pas leurs effets. On notera à cet égard, en sus d’un jeu scénique particulièrement investi, une rare élocution où chaque mot se détache (on aimerait qu’il en soit toujours ainsi chez les chanteurs francophones), dans la prosodie impeccablement écrite de l’œuvre.
Ángel Ódena incarne le rôle-titre avec intensité, gâtée par un importun vibrato de prime abord pour ensuite mieux s’en affranchir. Carmen Solís en Rosa, la malheureuse héroïne au destin fatal, suivrait un parcours similaire, mais tout autant vibrante d’émotion. C’est Antonio Gandía qui emporte le meilleur pour Paco, le rival de Juan José, ténor d’une vaillance à toute épreuve, y compris dans de longues notes maintenues ardemment filées. Et lui aussi, expressivement émouvant. Excellents rôles secondaires, campés par les voix de Milagros Martín (vétérane du répertoire de la zarzuela), Silvia Vázquez, Rubén Amoretti ou Ivo Stanchev. À quand une reprise de ce spectacle fort et de cet ouvrage prenant, sous des cieux plus septentrionaux ? Rêvons toujours…
Pierre-René Serna
(1) 2CD Musikene
Pablo Sorozábal : Juan José - Teatro de la Zarzuela, Madrid, 17 février 2016 / teatrodelazarzuela.mcu.es/es/
Photo © Fernando Marcos
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