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La Sylphide au Palais Garnier - Des talons aux ailes - Compte rendu
Malgré sa feinte naïveté, ce ballet est essentiel : né en 1832 à l’Opéra de Paris, ressuscité en 1971 par un chorégraphe-archéologue passionné, Pierre Lacotte, qui lui redonna vie après des années de recherches minutieuses dans toutes les archives de la planète, il plonge dans l’histoire européenne. Car de son pied léger, La Sylphide, née des chimères romantiques, venue des brumes nordiques, et mise en pas par un Italien, Taglioni, venait cristalliser les aspirations diffuses à un être idéal, à un au-delà libéré du monde matériel, dans lesquelles flottait le temps : tous les poètes, les musiciens, et les grands esprits d’alors, de Dumas et Musset à Hugo, l’adorèrent, comme ils aimaient la Malibran, et y reconnurent leur quête.
Mais apport majeur aussi, La Sylphide raconte l’histoire de la danse, de ce ballet qui sortait d’une longue mission purement divertissante, à laquelle quelques chorégraphes de la fin du XVIIIe siècle, comme Noverre, avaient tenté de donner plus d’étoffe. Héroïne immatérielle, donc, la ballerine tirait de son tout nouveau chausson la faculté de s’envoler, de glisser sur scène, de se faire papillon ou esprit, ondine ou willi, et l’époque ne se priverait pas avec Giselle notamment, le chef-d’œuvre du genre, et bien d’autres compositions tombées dans l’oubli, de goûter ce nouveau profil dansant.
Mais, pour la ballerine, au prix de quelles souffrances, car le chausson d’alors n’était pas celui d’aujourd’hui, si bien structuré, encore que toujours douloureux, et qu’il lui fallait donc sautiller sans arrêt pour ne pas trop reposer sur ce fragilisant et trompeur carcan ! D’où une formidable évolution de la technique de pied, tandis que les bras s’allégeaient de leur maniérisme baroque pour s’étirer et se faire couronne, ailes, et que le profil se ployait, en raison du rigoureux corset, qu’il fallait délacer dans la coulisse, dès que la danseuse y faisait halte !
Amandine Albisson et Hugo Marchand © Svetlana Loboff-OnP
On en est loin, aujourd’hui, alors que le chausson à pointes d’un Forsythe, d’un Petit ou d’un Kylian, sont devenus des sortes de crampons qui ramènent au sol, au lieu de l’en éloigner. Il faut donc aux ballerines contemporaines un difficile retour sur leur technique pour retrouver la légèreté, l’immatérialité requises par le rôle. Tout dans ces reprises est donc profitable aux danseurs et au public, d’autant que Pierre Lacotte veille toujours sur son trésor, aidé de Ghislaine Thesmar, son inoubliable interprète sur l’écran en 1971, avant que le ballet ne fut remonté à l’Opéra un an plus tard. D’autres y mirent leur marque de façon tout aussi subtile, une Pontois, une Platel, une Gaïda.
La lettre est donc toujours là, même si l’esprit faillit souvent. A preuve le choix de l’interprète principale pour la première, la brillante Amandine Albisson (photo), l’une des belles recrues de la nouvelle vague d’étoiles. Charnelle, pulpeuse, on l’imaginerait plutôt couronnée de pampres que de fleurs blanches. On apprécie certes ses jolis pieds, et le travail de plié qui leur donne toute leur élasticité, ainsi que la grâce de bras charmeurs. Mais malheureusement, on ne lui trouve rien d’éthéré, de transparent, et tout en appréciant sa joliesse et la qualité de sa danse, il ne reste de cette apparition que des manières ravissantes, et qui mènent bien plus aux désirs terrestres qu’à l’au-delà des songes nébuleux.
En revanche, on s’est émerveillés de la technique flamboyante de son partenaire Hugo Marchand, qui a d’ailleurs obtenu son titre d’étoile dans ce rôle, en mars dernier, lors d’une tournée au Japon. Les sauts impérieux et merveilleusement planants, la danse large, le port ample, la batterie impeccable, épaules tenues sans un frémissement, pirouettes finies au ralenti, bref une maîtrise totale de ce grand corps qui garde une tête de gamin, au sourire frais. Il ne manque à ce brillant sujet que de faire ses preuves d’artiste, et de se trouver guidé par un chorégraphe qui saura lui arracher une intensité expressive certainement prête à éclore, comme jadis Mats Ek pour Nicolas Le Riche.
Face à eux, la plus accomplie des premières danseuses actuelles, la dure et précise Hannah O’ Neill en Effie, la fiancée de James, dont elle tente d’avoir la grâce rieuse et désolée alors qu’elle est à l’évidence une tragédienne. Le contraste de cette fine et aristocratique personne avec la rondeur d’Albisson était étrange. On aura d’ailleurs l’occasion de la découvrir dans le rôle titre, qu’elle incarnera une fois le 16 juillet. Tandis que les délicates Léonore Baulac et Myriam Ould-Braham accrocheront à leur tour les deux petites ailes.
Quant à la compagnie, elle s’acquitte parfaitement d’ensembles tracés au cordeau par le vigilant Lacotte, qui comportent bien des difficultés dans l’entrecroisement des pas. Tandis qu’un chef rompu au ballet, Ermanno Florio, enlève toute velléité d’alanguissement à la fade et lourde musique de Schneizhoeffer, dont on retient surtout une petite mélodie lancinante qui enveloppe les charmants ébats de la Sylphide et de James au 2e acte.
Démodée, vieillotte, rabâchée La Sylphide ? Certes pas, et comment ne pas s’émerveiller des applaudissements jaillissant d’un public tout à fait normal, lorsque au deuxième acte, dans la forêt, les sylphides se baladent dans les airs, grâce à quelques cordes et poulies ! Au XXIe siècle ! Les spectateurs se découvraient une âme romantique.
Jacqueline Thuilleux
La Sylphide – Paris, Palais Garnier, 1er juillet 2017 ; prochaines représentations les 4, 5, 7, 9, 10, 12, 14, 15 & 16 juillet 2017 / www.operadeparis.fr
Photo (Amandine Albisson) © Svetlana Loboff-OnP
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