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15ème Festival Messiaen au Pays de la Meije - Fidélité et renouvellement - Compte-rendu
Tout est affaire de fidélité dans l’histoire et le succès du Festival Messiaen au Pays de la Meije. L’auteur des Vingt Regards était on le sait particulièrement attaché à une région où il possédait une maison de vacances (à Petichet). Depuis quatorze ans c’est au tour de la manifestation menée avec enthousiasme par Gaëtan Puaud de se montrer fidèle à la mémoire du compositeur à travers une programmation qui n’en demeure pas moins ouverte et en constant renouvellement – le thème de cette année, « La classe de Messiaen au Conservatoire de Paris », l’illustre.
Mais la fidélité est aussi celle d’interprètes étroitement associés au nom de Messiaen, tels que Michel Béroff dont un récital ouvrait le Festival 2012, ou encore Roger Muraro qui, lors du concert de clôture à l’église de La Grave (le 22 juillet), donnera les Visions de l’Amen avec la jeune et remarquable Marie Vermeulin (lauréate du Concours Messiaen de la Ville de Paris en 2007). C’est là un symbole de la place très importante que le Festival Messiaen réserve cette année à la nouvelle génération, en particulier par le biais d’un partenariat naissant - et ô combien prometteur ! - avec le Conservatoire de Paris.
L’Orchestre des Lauréats du Conservatoire était ainsi présent à Monêtier-les-Bains, sous la direction de Bruno Mantovani, pour une soirée qui a d’abord permis de découvrir en création mondiale Orbitas du Chilien Francisco Alvarado (28 ans), morceau dont les interprètes maîtrisent le savant agencement en restant attentifs à la qualité des couleurs. Nullement en reste de ce point de vue, les Oiseaux exotiques de Messiaen, sous les doigts de Varduhi Yeritsyan, offrent un modèle d’équilibre et de vigueur dans le dialogue avec l’orchestre.
Suit Octandre pour vents et contrebasse de Varèse : les jeunes instrumentistes font honneur à réputation des souffleurs français, tandis que l’approche à la fois moderne et sensuelle de Bruno Mantovani souligne la caractère visionnaire de ces quelques minutes de musique. Nulle aridité ici, pas plus que dans le Concerto de chambre de Berg où l’on retrouve Varduhi Yeritsyan au côté de la violoniste Hae-Sun Kang. La complexité de l’ouvrage a pu être prétexte à des approches excessivement intellectuelles et grisâtres ; on apprécie d’autant plus l’interprétation à la respiration large et pleine de sève que défendent Mantovani et ses deux solistes.
La collaboration du Festival Messiaen avec le Conservatoire de Paris consiste aussi à faire place à de jeunes instrumentistes ou chanteurs issus de la Classe de 3ème cycle « répertoire contemporain et création » ouverte à la rentrée 2011. Avec Violaine Debever (piano), Remi Durupt (percussion), Carl-Emmanuel Fisbach (saxophone) et Askar Ishangaliyev (violoncelle), quatre d’entre eux sont réunis pour un copieux programme (Mantovani, Mâche, Savouret, Dao, Ducol, Messiaen) à l’église de La Grave et font montre de leur familiarité avec la musique d’aujourd’hui.
Très présente tout au long du concert, Violaine Debever témoigne d’un beau sens du dialogue avec ses partenaires (mais, en solo, on apprécie aussi sa présence poétique dans la Première communion de la Vierge), que soit dans Râgamalika de François-Bernard Mâche (en création mondiale), pièce marquée par la musique indienne, partagée avec Askar Ishangaliyev, ou encore dans les Espaces etnéens (nos 1 et 2) de Bruno Ducol pour lesquels Rémi Durupt entre en scène. On est frappé par le sens de la nuance, de l’infinitésimal du percussionniste, tout comme on l’a été auparavant par son imagination sonore et son lyrisme – c’est le mot qui convient – dans Phénix de F.B. Mâche. Carl-Emmanuel Fisbach est une autre belle révélation du concert et le redoutable A flanc de Bozat (pour saxophones ténor et soprano) d’Alain Savouret, impeccablement dominé, souligne son éblouissante variété d’attaque.
Particulièrement chère au cœur de Gaëtan Puaud, la musique de Gérard Grisey (1946-1998) s’illustre entre autres(1) cette année avec Le Noir de l’Etoile, pour six percussionnistes et bande magnétique. Donné en plein air sur la place de Villar d’Arène, l’ouvrage constitue l’un des temps forts du Festival 2012 et permet de retrouver ses dédicataires et créateurs (en 1991 à Bruxelles) : Les Percussions de Strasbourg. Le célèbre astrophysicien Jean-Pierre Luminet, qui a collaboré avec Grisey pour l’élaboration de cette œuvre, est également présent. Dans l’après-midi, il partage avec le musicologue François-Xavier Féron une conférence exemplaire de clarté sur ce qu’il décrit comme une «musique avec pulsar obligé » ou encore «la narration de la rencontre entre une étoile mourante (…) et (…) six musiciens qu’elle guide.»
Musique ouverte sur l’immensité et le mystère du cosmos, Le Noir de l’Etoile compte parmi les chefs-d’œuvre de la littérature pour percussion. La complexité et la lourdeur de son effectif (six percussionnistes disposés en cercle autour de l’auditoire) font de son exécution en public un moment toujours rare et privilégié. A Villar d’Arène, on est littéralement saisi par une composition que les Strasbourgeois dominent de fond en comble. Tant et si bien que sa complexité se fait totalement oublier pour se muer en une expérience physique, musicale et poétique qui laisse le public très nombreux massé sur la place littéralement scotché par la puissance et la beauté d’une œuvre inclassable.
Alain Cochard
(1) Les Chants de l’Amour seront par ailleurs donnés le 21 juillet (à l’église des Cordeliers)
Monêtier-les-Bains, La Grave, Villar d’Arène, les 14 et 15 juillet 2012
15ème Festival Messiaen au Pays de la Meije (jusqu’au 22 juillet)
www.festival-messiaen.com
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Photo : Colin Samuels
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