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20ème saisons de Printemps des Orgues d'Angers - Un Monteverdi habité - Compte-rendu
Musique sidérante, au sens originel, les Vêpres de la Vierge de Monteverdi dirigées à la cathédrale d'Angers par Jean-Pierre Canihac s'accompagnaient d'une mise en espace sonore digne de la musique des sphères la plus élaborée, univers musical puissamment organisé et sans cesse en mouvement. Avec sa parure instrumentale – deux violons, un alto/violon, deux violes de gambe, violone, trois cornets et autant de sacqueboutes, basson, deux flûtes, théorbes & chitarrones, orgue positif et clavecin – capable de la plus merveilleuse et subtile intimité comme d'un faste insurpassable, l'œuvre est plus que jamais apparue à la jonction de la prima et de la seconda prattica, pont tendu entre la tradition grégorienne et une modernité haletante toujours fascinante. Procédant sans doute autant de sa conception de l'œuvre que des conditions acoustiques de l'ample vaisseau de Saint-Maurice (avec aussi peu de distorsion et de dispersion que possible du fait de l'absence de bas-côtés ou de chapelles latérales), Jean-Pierre Canihac, riche d'une longue expérience de l'œuvre comme interprète et comme chef, en proposa une version haute en couleur et rythmiquement acérée, ainsi que ces treize pages d'envergure l'exigent, sans renoncer à une élévation de chaque instant se traduisant notamment par des tempos parfois « retenus » et intensément habités.
La disposition initiale, elle-même d'une réelle beauté plastique et imposante d'harmonie, offrit d'emblée une spatialisation aussi risquée que pleinement convaincante, instruments et voix, y compris les dix solistes, étant disposés en un double arc de cercle dont les deux segments se répondaient dans l'esprit d'un double chœur en dialogue (cori spezzati), les dessus à l'extérieur – tant les deux violons, donc aux extrémités de l'arc sonore, que les sopranos solos : Adriana Fernandez et Anne Magouët, idéalement complémentaires de timbres et étourdissantes de synchronisation, malgré la distance, dans un Pulchra es pur et radieux. Au centre de l'image sonore, immuable soutien de cette puissante architecture en constant devenir, violone et claviers, véritable point d'ancrage de l'ensemble. Au gré des pages et de leur diversité, l'éventail instrumental et vocal se redéployait ou se resserrait, ainsi dans le Nigra sum, poétiquement recentré et chanté par un Bruno Boterf en état de grâce, avec chitarrones, gambe et clavecin, sans chef – contraste assuré avec un Laudate pueri en grand apparat bien qu'enchaînant avec infiniment de souplesse et de tenue.
L'idée de la spatialisation prit encore plus visiblement son envol à partir du Duo Seraphim – on imagine la prestation nécessairement sans filet que représente un chanteur sur chacune des tribunes longitudinales de la première travée de nef, un autre à la tribune du grand orgue, tous accompagnés à belle distance par cordes pincées, gambe et orgue. Pas l'ombre d'un flottement rythmique, chaque protagoniste étant si audiblement et pleinement investi dans son rôle que l'équilibre du tout magnifiait chacune des parties, suspendues et venant littéralement du ciel. Vocalement, disait après le concert Anne Magouët, les Vêpres sont une œuvre pour ténors !, et de fait les collègues de Bruno Boterf, Vincent Bouchot et Marc Mauillon, firent des merveilles.
Les sections suivantes apportèrent leur lot de surprises et d'inventivité quant au positionnement des voix dans cet espace considérable vibrant des splendeurs montéverdiennes, ainsi de l'Audi coelum, l'écho d'une voix « invisible » répondant au soliste lui-même placé à la tribune de l'orgue (sorte de « double lointain »), ou du grandiose Lauda Jerusalem à sept voix, dont six, rehaussées d'une sacqueboute, à la tribune d'orgue. En bas, dans l'espace central, instruments et voix poursuivant leurs agencements, les deux violons se trouvèrent finalement réunis dans la virtuose Sonata sopra Sancta Maria, dialoguant avec les vents disposés sur le côté opposé, tandis que cinq voix entonnaient en tribune – comme venant d'un autre monde – l'altier cantus firmus. Les trois tribunes furent de nouveau mises à contribution pour l'hymne Ave maris stella, extatique et d'un recueillement soutenu, sur un tempo modéré décuplant souffle et spiritualité. Et pour couronner le tout, le grand Magnificat à sept voix de style concertant – version systématiquement choisie par Jean-Pierre Canihac, celui à six voix et basse continue relevant d'une approche toute différente et n'ayant pas sa place dans ce type de réalisation.
Il va de soi que la base instrumentale de ces Vêpres toulousaines entendues à Angers en ouverture de la saison 2011-2012, celle du 20ème anniversaire du Printemps des Orgues, était constituée des Sacqueboutiers, qui eux-mêmes fêtent cette année leurs trente-cinq ans d'existence. Leur répondaient dix-huit chanteurs du Chœur du Capitole de Toulouse, d'une polyvalence stylistique pour le moins éloquente : du Berliner Requiem de Kurt Weill au Faust de Philippe Fénelon en passant par le grand répertoire lyrique, et donc aussi ces Vêpres de Monteverdi. Le public ne s'y trompa pas, heureux de pouvoir goûter une œuvre en définitive rarement accessible en concert, fasciné tant par l'extrême qualité des protagonistes que par la cohérence impulsée par Jean-Pierre Canihac. Dans cette atmosphère d'élévation et d'extrême concentration, on pouvait entendre les seraphim voler…
Michel Roubinet
Le Printemps des Orgues, cathédrale Saint-Maurice d'Angers, jeudi 20 octobre 2011
Sites Internet :
Le Printemps des Orgues :
http://printempsdesorgues.fr/
Les Sacqueboutiers / Jean-Pierre Canihac
http://www.les-sacqueboutiers.com/
Chœur et Solistes du Capitole de Toulouse
http://www.theatre-du-capitole.fr/1/le-theatre/le-choeur-du-capitole/his...
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Photo : DR
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