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3 Questions à John Neumeier – « Mes adieux chorégraphiques au monde mahlérien »
A l’occasion de la création du ballet « Le Chant de la Terre » à l’Opéra de Paris, le chorégraphe répond à Concertclassic.
Encore et toujours Mahler, et pourquoi particulièrement Le Chant de la Terre ?
John NEUMEIER : Très vite, dès ma prime jeunesse, j’ai ressenti la musique de Mahler comme ma propre musique, mon univers intérieur. Et inlassablement, sans qu’il faille y voir un plan quelconque, ses œuvres se sont imposées à moi : ainsi pour la 1ère Symphonie, chorégraphiée pour le Ballet du XXe siècle, à la demande de Béjart qui m’avait demandé un ballet pour l’énorme Forest de Bruxelles. J’ai toujours eu un besoin intense de sa musique, avec laquelle je me sens en osmose totale.
Quant au Chant de la Terre, son ultime chef-d’œuvre, je l’ai fréquenté lorsque j’étais au Ballet de Stuttgart, et je l’ai même dansé à la création de la magnifique chorégraphie faite pour cette compagnie par John Mac Millan en 1965. Pour le jeune chorégraphe que j’étais, cette façon d’élargir le propos classique avec une telle modernité m’avait profondément marqué, et ouvert des horizons. Je suis resté fidèle à cette version, mais cela fait cinquante ans, et c’est mon tour ! J’arrête là mon travail sur l’univers de Mahler, dont je ne chorégraphierai pas les 2e et 8e Symphonies, qui me paraissent trop énormes à imposer sur des scènes. C’est mon Abschied personnel !
Brigitte Lefèvre, qui vous avait demandé une création, vous avait- elle suggéré ce titre ?
J.N. : Pas du tout, c’est moi qui ai décidé d’un ballet symphonique et non narratif. Nous avons toujours eu une belle complicité, et c’est à sa demande que j’avais fait Sylvia, en 1997, après le Magnificat que Noureev m’avait suggéré en 1987. Retrouver cette musique en descendant au plus profond pour la projeter dans les mouvements m’a bouleversé. Le compositeur est au cœur de ces pages, même si elles reposent sur une fine poésie chinoise. Les mots même y ont un sens que chaque période de la vie fait percevoir différemment. Le dernier lied, Der Abschied, (L’adieu) est particulièrement révélateur de cette évolution : on y ressent puissamment l’empathie de Mahler avec la nature dans des textes d’une beauté prodigieuse, et pour lesquels j’ai préféré la version avec deux voix d’hommes, plus conforme aux paroles échangées par les deux amis qu’évoquent les poèmes.
Nous travaillons d’ailleurs en studio sur mon enregistrement préféré, celui de Thomas Hampson avec Simon Rattle, d’une tendresse et d’une finesse extraordinaires. Avant de retrouver l’orchestre, bien sûr. Mais rien dans mes pas, dans le miroir aux souvenirs que je tendrai au public, ne se voudra illustration au premier degré. Les danseurs de l’Opéra ont très bien compris ma démarche, notamment Laetitia Pujol, dont l’extrême concentration m’émerveille. Cette alchimie est fascinante et très émouvante. Quant au ballet lui-même, nous le reprendrons à Hambourg dans deux ans.
Comment se sont passés les contacts avec Benjamin Millepied ?
J.N. : J’en ai eu peu, mais il n’y a pas de problème. Mais c’est un autre monde qui se met en place, une autre façon de penser la danse. Moi j’ai fait ce en quoi j’ai cru, et ma danse ne peut trouver sa source qu’en la musique, ce qui n’est pas le cas forcément aujourd’hui. Pour l’heure, je continue sur ma voie, à Hambourg et ailleurs. Je monte mes ballets dans beaucoup d’endroits, ainsi à Vienne où je viens de confier La légende de Joseph à Manuel Legris, qui y dirige le Ballet de l’Opéra. De Cape Town à Huston, de Londres à Moscou, l’année est très chargée. Ensuite, enfin, je prendrai un peu de repos en Allemagne du Sud, au bord d’un lac.
Quant à ma Fondation à Hambourg, elle va bien et j’ai la joie de découvrir encore des documents qui me surprennent : ainsi nous venons d’acquérir le dessin d’un costume de Bakst pour Nijinski dans Cléopâtre. Malgré une quête de toute une vie sur l’iconographie des Ballets Russes, je ne le connaissais absolument pas !
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, le 7 février 2015
« Le Chant de la Terre » ( chor. J. Neumeier) – Paris, Palais Garnier, les 24, 25, 26, 27, 28 février et les 2, 3, 4, 5, 6, 9, 10, 11, 12 mars 2015.
http://www.concertclassic.com/concert/le-chant-de-la-terre-john-neumeier
Photo © Ballet de Hambourg
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