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3 Questions à Olivier Lexa, directeur artistique du Venetian Centre for Baroque Music
Inauguré en 2011, le Venetian Centre for Baroque Music (VCBM) s’est donné pour tâche première de faire revivre à Venise tout un patrimoine musical que la Sérénissime négligeait. Fort de très belles réalisations déjà et porteur de projets prometteurs, le VCBM est à l’initiative du mini-festival « Les Vénitiens à Paris » (26-28 mars). Une manifestation que souligne la dette de la musique française envers les artistes italiens. Directeur artistique du Venetian Centre for Baroque Music, Olivier Lexa (photo) répond à Concertclassic.
Quel bilan tirez-vous des quatre années écoulées depuis la naissance du VCBM ?
Olivier LEXA : L’un de nos plus grands bonheurs est de constater que 70% de notre public est vénitien ou italien. Je ne travaille pas pour les touristes. Au moment de mon arrivée à Venise, lorsque j’évoquais Monteverdi ou Cavalli devant certaines personnes, elles me donnaient l’impression que je leur parlais de musique médiévale, alors qu’en fait ces musiciens constituent la source du bel canto. Les deux premières années d’activité du VCBM ont fait une large place à Monteverdi, Cavalli, Ferrari, Barbara Strozzi, etc. Je garde un merveilleux souvenir par exemple d’un récital de Roberta Invernizzi. Elle chante ce répertoire depuis vingt ans dans le monde entier mais… c’était la première fois qu’elle le faisait à Venise. Les Arts florissants ont également été présents en 2011, 2012 et reviennent cette année, toujours pour du Monteverdi. Après les 2ème et 3ème Livres de Madrigaux, ils donneront cette fois le 6ème. Des Livres complètement méconnus à Venise ; à chaque fois c’est une sorte de révélation, d’éblouissement total pour l’auditoire. Cet excellent accueil du public nous conduit par ailleurs à développer notre collaboration avec La Fenice. C’est un immense bonheur pour le VCBM. Nous organisons déjà des concerts à La Fenice depuis trois ans. Vous en saurez plus sur nos beaux projets lyriques communs lors de l’annonce que le Théâtre et le VCBM feront très prochainement.
Pourquoi le VCBM a-t-il décidé d’organiser ce mini-festival « Les Vénitiens à Paris » ? Comment a-t-il été conçu ?
O.L. : La musique française et l’opéra français sont en grande partie nés de l’opéra vénitien, avec notamment Torelli, Balbi et Cavalli, trois des principaux acteurs de la vie musicale sous Mazarin. Ce dernier venait de Rome, avait été élevé à l’opéra auprès des Barberini et aimait énormément ce genre. Il essaie d’introduire tout cela, avec quelques échecs, à Paris et y fait venir des musiciens. Les opéras de Lully sont clairement issus pour la mise en scène de Torelli. C’est lui qui, au sortir de la Fronde, a fait danser Louis XIV dans le Ballet de la Nuit, et qui a réalisé toutes les premières mises en scène des premiers opéras italiens représentés à Paris : La Finta Pazza de Sacrati, ouvrage très représentatif du répertoire vénitien, L’Orfeo de Rossi ou encore la grande création d’Ercole amante de Cavalli. Lully a été très marqué par l’esthétique vénitienne.
Nous nous sommes limités à deux concerts (l’un sacré, l’autre d’extraits d’opéras) et une journée d’étude pour ce premier festival ; il sera plus étoffé l’an prochain. Pour le programme sacré, il m’a semblé assez évident de m’adresser à Sébastien Daucé et à l’Ensemble Correspondances, une jeune formation qui sert avec beaucoup de talent le répertoire du XVIIe siècle. Je connais Sébastien depuis une quinzaine d’années et je sais qu’il est très attiré par la musique italienne à travers Charpentier – qui doit comme on le sait beaucoup à Carissimi.
Il n’y a pas eu une seconde d’hésitation non plus s’agissant de Leonardo García Alarcón pour diriger les extraits d’opéras vénitiens. Nous travaillons avec lui depuis les débuts du VCBM ; il est aujourd’hui simplement le meilleur pour interpréter ce répertoire. Leonardo a développé toute une théorie du langage harmonique de Cavalli dont il nous a parlé lors du colloque organisé l’été dernier à Aix-en-Provence à l’occasion de recréation d’Elena. Il a présenté sa théorie devant les plus grands spécialistes de Cavalli. Ceux-ci n’y avaient jamais pensé ; ils étaient édifiés : c’était tout à coup l’évidence pour eux ! Leonardo n’est pas seulement un musicien, un spécialiste, un grand chef, c’est aussi un formidable connaisseur du répertoire.
Entre le concert du 26 et celui du 28 mars, l’Institut culturel italien accueille une journée d’étude. Quel en sera l’objet précis ?
O.L. : Il s’agira de faire un historique, de brosser un portrait de tous ces artistes italiens qui sont venus dès l’arrivée de Mazarin à Paris, et qui sont partis au moment de sa mort en 1662. Deux personnages ont été très importants : le castrat Atto Melani, sorte d’espion des Barberini qui, outre ses talents vocaux (il a par exemple été le créateur du rôle-titre de Serse de Cavalli), a joué un rôle d’agent diplomatique, mais il convient aussi d’insister sur Francesco Buti, abbé et librettiste venu de Rome. Mazarin lui a demandé d’écrire les livrets et de prendre les commandes des productions d’opéras italiens. Buti à initié L’Orfeo de Luigi Rossi et écrit son livret, tout comme celui d’Ercole amante de Cavalli.
On croit bien connaître le sujet des Vénitiens à Paris, mais beaucoup d’aspects restent à découvrir. C’est le but d’une journée d’étude qui réunira les meilleurs spécialistes.
Propos recueillis par Alain Cochard, le 7 mars 2014
« Les Vénitiens à Paris »
Ensemble Correspondances, dir. Sébastien Daucé
Œuvres de Monteverdi, Legrenzi, Lotti, Caldara, Melani & Charpentier
26 mars – 20h
Paris - Eglise des Blancs-Manteaux
Journée d’étude « Les Vénitiens à Paris ».
27 mars – de 10 h à 18h (entrée libre)
Paris – Institut culturel italien
Mariana Flores et Anna Reinhold (sop.)
La Capella Mediterranea, dir. Leonardo García Alarcón
Œuvres de Cavalli, Rossi & Sacrati
28 mars - 20h 30
Paris - Eglise Saint-Germain-l'Auxerrois
Rens. : www.vcbm.it
N.B. : Olivier Lexa fera paraître à la rentrée prochaine chez Actes Sud la première monographie en français consacrée à Cavalli.
Photo © Laure Jacquemin
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