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30ème Printemps des Arts de Monte-Carlo - Sensations, soleil levant - Compte-rendu
Le Printemps des Arts de Monte-Carlo fête cette année sa 30ème édition. Le compositeur Marc Monnet est quant à lui aux commandes depuis 2003 et y revendique son goût pour la découverte, le dialogue des arts et la force d'invention de la musique.
Souhaitant aborder des territoires peut-être moins exposés de la musique contemporaine, il proposait cette année tout un week-end consacré au Japon. Invité du vendredi soir de l'auditorium Rainier III, l'Orchestre national de Lyon mettait en regard deux œuvres de Toru Takemitsu (1930-1996) avec deux autres de Claude Debussy. Un rapprochement des plus logiques tant l'influence du compositeur de La Mer est grande sur celui qui demeure le plus célèbre des compositeurs nippons. Cela transparaît dans le titre même de la première œuvre au programme, Toward the Sea II (« vers la mer »), un concerto pour flûte et harpe daté de 1981 dont les sonorités vaporeuses regardent vers Debussy, Messiaen ou Dutilleux.
Hélas, la direction d'Eivind Gullberg Jensen manque de relief et ne met pas suffisamment en valeur le discours des solistes. La même remarque vaut pour l'autre œuvre de Takemitsu. November Steps, autre œuvre concertante, l'une des premières où le compositeur confronte à l'orchestre occidental des instruments asiatiques, en l'occurrence le biwa, un luth, et le shakuachi, une flûte droite. Or, dans cette musique où la tension naît de l'écoulement du temps et des surgissements du silence, le chef norvégien ne parvient pas à donner de véritable souffle. En demi-teinte également est l'interprétation de La Mer, d'une langueur qui n'est bousculée qu'en fin de mouvements. Reste la Suite pour violoncelle et orchestre, une ébauche du jeune Debussy complétée par la Britannique Sally Beamish (née en 1956), habilement mais sans grande invention. Rien d'essentiel ici, mais le jeu inspiré de la soliste Anne Gastinel qui donne à cette suite de pièces de genre (Rêverie, Nocturne, Danse bohémienne...) tout son élan.
C'est la musique de Toshio Hosokawa, compositeur né en 1955 dont on a pu entendre récemment, aux Bouffes du Nord à Paris, le beau monodrame Le Corbeau d'après Edgar Poe, qui guidait les programmes des deux journées suivantes. La bonne idée de Marc Monnet est d'avoir pensé l'interprétation de ces œuvres, par l'excellent Quatuor Diotima (photo), en relation avec les arts rituels japonais, présentés par le Pavillon d'argent de Kyōto. Ainsi le quatuor Silent Flowers s'inscrit-il, sur la scène de la Salle Garnier, dans un dialogue avec l'Ikebana, art floral pluriséculaire. L'idée est passionnante car elle entoure la musique de Toshio Hosokawa de silence – de ce silence dont toujours elle surgit – en même temps qu'elle en révèle la dimension profondément rituelle. L'Ikebana invite à revisiter l'espace, avec ses vides assumés ; la musique de Toshio Hosokawa sculpte elle aussi l'espace sonore. Dans Landscape V, pour quatuor et shô (un orgue à bouche utilisé dans la musique de cour gagaku), le temps reste suspendu sur les miroitements des instruments fusionnés.
Si les cérémonies de l'encens et du thé se sont révélées moins convaincantes – difficile de montrer au public, dans une configuration théâtrale frontale, ce qui relève évidemment de l'espace privé – la dernière journée de ce week-end japonais a permis d'entendre deux remarquables interprètes : Mayumi Miyata, la créatrice de Landscape V, au shô et Naoko Kikuchi au koto, un instrument à cordes pincées – deux instruments propres à ouvrir les horizons harmoniques des compositeurs d'aujourd'hui. Le Quatuor Diotima donnait ensuite Distant Voices, sixième quatuor de Toshio Hosokawa, créé l'an dernier à Londres, où le compositeur pousse plus loin que jamais la conception d'une musique presque statique mais qui offre un paysage musical renouvelé par chaque note, à la fois ténu et infini. Suivait I listen to... de la compositrice Noriko Miura, constamment au seuil du silence, puis, toujours aussi parfaitement défendu par les Diotima, le Quatuor de Ravel, autre monde, autre poésie.
Le festival s'achèvera en un dernier feu d'artifice, du 10 au 13 avril, avec son lot de créations et de découvertes, et une autre confrontation stimulante entre musiques traditionnelles et compositeurs d'aujourd'hui, autour d'Ahmed Essyad(1) et des traditions musicales berbères.
Jean-Guillaume Lebrun
Monaco, Auditorium Rainier III, Salle Garnier, Salle Empire ; les 28, 29 et 30 mars 2014. www.printempsdesarts.mc
(1) Rencontre avec Ahmed Essyad (2013) : www.concertclassic.com/article/rencontre-avec-ahmed-essyad-loubli-est-la-source-de-toute-ecriture
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