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« 40es Rugissants » par l’Orchestre Symphonique de Bretagne – Musique, images, embruns – Compte-rendu
Administrateur de l’Orchestre Symphonique de Bretagne depuis 2011, Marc Feldman a imprimé un bel essor à une formation dont la direction musicale est assurée depuis 2015 par le Gallois Grant Llewellyn. La position géographique de l’OSB explique des choix artistiques tournés vers l’Arc Atlantique ; des croisements entre le répertoire classique et la musique traditionnelle (dans le cadre du Projet Taliesin) ou des initiatives telles que les « 40es Rugissants », une création réunissant musique et photographie que nous, pour notre part, nous découvrions en même temps que l’Auditorium flambant neuf du Couvent des Jacobins (inauguré en janvier dernier, en plein centre de Rennes) et sa belle acoustique – signée du bureau Avel acoustique Paris –, remarquable de clarté, d’équilibre et de fidélité aux timbres. Quel changement par rapport à la tristounette acoustique du Théâtre national de Bretagne !
Grant Llewllyn © DR
La mer tient lieu de dénominateur commun aux « 40es Rugissants ». Avec le Concerto pour piano de Jean Cras (1879- 1932), l’œuvre d’un marin et musicien ouvre la soirée. Trop de nos formations symphoniques estiment leur dette envers la musique française acquittée avec la programmation d’œuvres, en général les plus célèbres, de Debussy et Ravel – inconnus ayant grand besoin d’aide, comme chacun sait – pour que l’on ne salue pas bien bas le choix d’un ouvrage que l’artiste brestois écrivit en 1931 et destina à sa fille Colette, qui le créa l’année suivante à Paris chez Pasdeloup.
© François Dumont © Jean-Baptiste Millot
Fidèle de l’OSB, avec lequel il a entrepris une intégrale des Concertos de Mozart, François Dumont est au piano (sans partition) et montre sa parfaite compréhension d’une musique aussi riche que séduisante. Elle ne comporte aucune référence explicite à la mer mais, par la profusion des couleurs, les jaillissements de lumière qui la caractérisent, apparaît indissociable des voyages de Cras, des horizons lointains vers lesquels sa – brillante ! – carrière de marin l’a mené. Couleurs. Espace aussi : il n’est pas donné à tous les compositeurs de faire, si l’on peut s’exprimer ainsi, circuler de l’air entre les notes. L'auteur de Journal de bord y parvient et les interprètes le soulignent continûment, dans un premier mouvement (Lent ; Modéré ; Animé), libre et très rhapsodique avec ses grands aplats colorés, un Très Lent, magique et mystérieux nocturne où des reflets de soieries semblent se mêler à de capiteuses fragrances, et, enfin, un Très animé foisonnant d’idées dont le pianiste, bien aidé par la direction preste et vivante de Grant Llewellyn, souligne le constant renouvellement. Les enregistrements du Concerto de Jean Cras sont rares ; puisse la rencontre de F. Dumont et de l’OSB trouver un prolongement discographique. (1)
© OSB
Après l’œuvre du compositeur et marin, la mer se fait présente par le biais des images accompagnant la création mondiale du poème symphonique Anita du brestois Benoît Menut. Hommage à Anita Conti (1899-1997), première océanographe française (elle travailla dès 1934 pour l’OSTPM, ancêtre de l’IFREMER), la partition a été conçue en lien direct avec une sélection (réalisée par Florence Drouhet) de splendides clichés de la scientifique. Magie du noir et blanc ... Saisissante de beauté, de puissance, cette dramaturgie de l’image se déroule en totale symbiose avec les sons. La mer immense, le bateau, les hommes, entre rudesse des conditions de travail et précieux moments de repos et de réconfort, la pêche (sur)abondante (A. Conti alerta dès les années 40 sur les conséquences de la pêche industrielle) trouvent un écho, parfois très dramatique, dans une musique pleine de relief (bravo à la trompette solo !) et aussi prégnante qu’évocatrice.
© OSB
Après la pêche au large de l’Afrique, la Symphonie Australe de Julien Gauthier (premier musicien lauréat de la résidence de création L’Atelier des Ailleurs) – une première mondiale ici aussi – transporte l’auditeur sur l’archipel des Kerguelen, où le compositeur a séjourné pendant cinq mois en 2016, sur la base de Port-aux-Français. Très imprégnée des bruits de la nature, sa partition (en cinq sections) exhale une atmosphère étrange, solitaire et désolée. Quelques images vidéos, très statiques, prises par J. Gauthier durant son séjour, ponctuent le déroulement de l'ouvrage. En certains endroits seulement : par rapport à ce qui a précédé et ce qui va suivre, cette Symphonie Australe frustre quelque peu par l’usage trop parcimonieux et pas assez diversifié de l’image.
On ne risque pas d’émettre pareille réserve à propos des Interludes marins de Britten, tirés de Peter Grimes, accompagnés par des images de Stéphane Lavoué. Ses clichés mêlent paysages et visages – gueules vaut-il mieux dire souvent – de travailleurs (et travailleuses) de la mer ; tout un monde imprégné d’iode et d’embruns faisant corps d’admirable façon avec la musique. L’image modifie la perception de cette dernière ? Certes, mais pour qui accepte de jouer le jeu, l’expérience s’avère passionnante. D’autant que Grant Llewelyn et les musiciens de l’OSB trouvent les couleurs et creusent les atmosphères de chacun des Interludes avec un art consommé. Et emportent l’enthousiasme d’une salle comble !
Alain Cochard
(1) On pourra déjà écouter le concert « 40es Rugissants » en différé sur les ondes de France Musique le 10 juin prochain
Rennes, Couvent des Jacobins, 21 avril 2018
Photo © OSB
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