Journal

La famille Roth en concert à Saint-Sulpice – De l’orgue ... au nyckelharpa ! – Compte rendu

 
 

Pâques 1985 : Daniel Roth, jusqu’alors organiste du Sacré-Cœur de Montmartre, accède à la tribune de Saint-Sulpice à la suite de Jean-Jacques Grunenwald (1911-1982), lui-même successeur en 1973 de Marcel Dupré (1886-1971). Depuis 2023, Daniel Roth est titulaire émérite de l’illustre Cavaillé-Coll, soit quarante années d’intense présence musicale fêtées « en famille » le dimanche des Rameaux.

 

Felix, Daniel, Vincent & Elsa Roth © © Antoine Thiallier 

Vincent Roth et le nyckelharpa
 
Chapelle des fonds baptismaux (rez-de-chaussée de la tour nord), élégantissime espace d’architecture classique surmonté d’une coupole à caissons, acoustique idéale et parfaite harmonie : l’altiste Vincent Roth, fils de Daniel Roth, offrait en avant-concert une présentation captivante et musicalement très éclairante de son autre passion : le nyckelharpa (1), instrument traditionnel suédois dont on apprit qu’il est en fait abondamment pratiqué en France, bien que non officiellement enseigné, et que deux facteurs de Mirecourt en produisent.

 

Vincent Roth © Mirou

Il s’agit d’une sorte de long violon couvrant une vaste tessiture, tenu manche vers le bas, l’habituelle pression des doigts de main gauche sur les quatre cordes (auxquelles répond un chœur de cordes sympathiques) s’exerçant via un mécanisme actionné par plusieurs rangées de clés, jusqu’à permettre un jeu en cordes multiples étonnant. Tel un rhapsode improvisant surgi de temps immémoriaux, il fit une démonstration des possibilités musicales du nyckelharpa à travers un chatoyant florilège de danses traditionnelles, au premier rang desquelles la polska : beauté du rythme, de la mélodie, du climat et du mouvement, souple, libre, communicatif – plus que séduisant. L’instrument peut aussi s’affranchir de son domaine originel : Vincent Roth interpréta une pièce anglaise du début du XVIIsiècle de type Lachrimae (on songe à Dowland) sonnant de grande et émouvante manière sur cet instrument chaleureusement insolite – que l’on allait retrouver à la fin du concert proprement dit.
 

La console du Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice © Mirou
 
 
Répertoire, transcriptions et créations
 
Le programme du concert se révéla tout aussi original, du sur-mesure pour les instruments réunis, reflet du second Blu-ray Disc publié par l'AROSS en l’honneur des quatre fois vingt printemps de l'organiste de Saint-Sulpice en 2022 – le premier, en 2020, était entièrement consacré à Louis Vierne (suppléant de Widor à Saint-Sulpice avant d'être nommé en 1900 à Notre-Dame) pour le 150anniversaire de sa naissance (2). Signalons sur ce Blu-ray Disc « Orgue en famille » deux premières d'importance dans la discographie pourtant déjà riche de Daniel Roth : la Sixième Sonate de Mendelssohn sur le Vater unser ainsi qu’une impressionnante Toccata de la Suite op. 5 de Duruflé (dont il n’avait gravé que le Prélude, à l’orgue Van den Heuvel de Strijen, Hollande, 1CD Festivo, 1985).

 

Sibylle & Daniel Roth © 16-8-4 Productions

 
Enfants et petits-enfants (sept sur neuf !) de Daniel Roth sont musiciens, certains professionnels. Sibylle (fille de Vincent) ouvrit les festivités avec des extraits de la Suite du premier ton de Guilain, rappelant en beauté que le Cavaillé-Coll de Saint-Sulpice renferme une partie du Clicquot précédent – « l’illusion » est parfaitement convaincante dans ce répertoire classique, au prix d’un effort d’articulation sur cette console et ce type de transmission : superbe. Les trois œuvres suivantes sont sur le Blu-ray Disc : deuxième des Six Études en forme de canon de Schumann, dans un agencement maison pour quatre mains et deux pieds : Sibylle et Daniel Roth (photo) ; Romanze op. 85 au noble et généreux souffle post-romantique de Max Bruch pour alto et orgue, Vincent et Daniel Roth (qui ont gravé un délicieux CD ifo Classics : Romances sans paroles, IFO 07002, 2009) ; envoûtant Larghetto posthume pour cor et orchestre de Chabrier par Félix (fils du flûtiste et chef d'orchestre François-Xavier Roth, lequel a aussi enregistré avec son père, pour le label Organ, un florilège de pièces françaises, ORG 7101 2, 1999) et Daniel Roth – tant l’alto que le cor, depuis la haute tribune, s’épanouissant avec bonheur et sensibilité dans l’immense nef.
 

Elsa Roth © Antoine Thiallier

 
Richesse et diversité du marimba
 
« Écrire pour marimba, cor et orgue est vraiment inhabituel. Cela m’a tout de suite enthousiasmé » : s’ensuivit la création d’une œuvre de Daniel Roth, Trio, réunissant Elsa (fille de Denis, fils aîné de Daniel Roth) au marimba, sous la croisée, Félix au cor (en tribune) et Daniel Roth au grand orgue, œuvre aussi complexe d’écriture qu’immédiatement captivante par sa spontanéité et la manière d’unir par le cœur et l’esprit ses musiciens. Elsa Roth enchaîna en soliste sur une œuvre invitant à un incroyable tour d’horizon de la richesse et de la diversité d’approche de son instrument : Ilijas pour marimba du compositeur serbe Nebojša Jovan Živković (né en 1962, installé en Allemagne dès 1980).
 
 

Félix, Elsa, Vincent & Sibylle Roth © Mirou

Présence implicite
 
Seconde et émouvante création : Ma Paume Pensante de Maël Roth (né en 2006, frère d’Elsa), pour orgue (son grand-père Daniel en tribune) et marimba, permit d’évoquer une figure essentielle de la famille Roth, la grand-mère Mamili du jeune compositeur : Odile Roth (1939-2015) – si l’intention du graphiste n’est pas avérée, la disposition du mot OR GUE sur le recto du Blu-ray Disc, avec ses deux premières lettres séparées, ne laisse pourtant aucun doute quant à la présence implicite de celle qui fut le pilier de cette lignée de musiciens. Cor, marimba, nyckelharpa et flûte à bec (Sibylle Roth) furent ensuite réunis pour un arrangement (Vincent Roth) des plus réjouissants de polskas traditionnelles suédoises, Daniel Roth reprenant la balle au bond en improvisant dans un même esprit, avec au cœur de ce moment si pleinement vivant une « déploration » que l’on pouvait ressentir comme un hommage à son épouse mais aussi une réflexion sur l’état du monde qui nous entoure, avant de refermer dans la joie ce grand moment festif.
 
Michel Roubinet
 

Paris, église Saint-Sulpice, 13 avril 2025
www.aross.fr
 
 
 
Prochain concert-évènement de l’AROSS, le 18 mai 2025 :
Ensemble vocal Sequenza 9.3 et 200 chanteurs
Catherine Simonpietri, direction, Karol Mossakowski au grand orgue, Axel de Marnhac (nouveau titulaire) à l’orgue de chœur
Messe de Widor, Motets de Duruflé, œuvres de Messiaen, Roth et Escaich
Création mondiale de Karol Mossakowski pour deux orgues et chœur
 
 
(1) Au sujet du nyckelharpa
philharmoniedeparis.fr/fr/magazine/histoires/le-nyckelharpa-un-parfum-de-suede-au-musee-de-la-musique
www.nyckelharpa.fr

 
(2) Blu-ray Disc AROSS consacré à Louis Vierne
www.concertclassic.com/article/finale-du-concours-de-composition-saintsulpice2021-un-evenement-au-retentissement

© 18-8-4 productions

Partager par emailImprimer

Derniers articles