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Festival de Pâques de Deauville 2025 – Passionnément chambriste – Compte rendu

 

Depuis 1997, le Festival de Pâques de Deauville est au rendez-vous, fidèle à l’esprit qui a fait sa réputation, curieux, découvreur, attaché à faire mentir le constat de Cocteau quand il déplorait qu’en France on se préoccupe plus de reconnaître que de connaître. « À Deauville, les générations se succèdent et se ressemblent », dit Yves Petit de Voize, directeur artistique de la manifestation. Par le jeu des cooptations entre musiciens, chaque édition apporte son lot de découvertes. C’est l’occasion aussi de retrouver des artistes désormais réputés que l’on a entendus dans la cité normande à l’heure de leur envol. On se souvient par exemple du premier concert sur pianoforte en public de Justin Taylor en 2016 (dans le 17Concerto de Mozart).
Taylor était d’ailleurs de retour cette année à Deauville, au pianoforte, aux côtés de l’Ensemble Sarbacanes, pour l’ouverture d’un deuxième week-end, qui se poursuivait avec des instrumentistes tous habitués du festival : Pierre et Théo Fouchenneret, Lise Berthaud et François Salque.

 

@ Claude Doaré
 
 
Brûlante inspiration

On attendait le Quatuor pour piano op. 41 de Saint-Saëns, le 2Quatuor pour piano op. 45 de Fauré, d’une douzaine d’années postérieur, lui a finalement été préféré et a fait le bonheur des nombreux mélomanes réunis dans la salle Elie de Brignac (acoustiquement métamorphosée, il faut le redire, depuis qu’un plancher a été installé sur la scène) par l’engagement passionné de ses interprètes.
L’abandon maîtrisé avec lequel ceux-ci se lancent dans l’Allegro molto moderato donne le ton : à d’autres les prudences et les joliesses parfois infligées au maître français ! Cette intensité du propos n’émerveille pas moins dans la course haletante du Scherzo, véritable conte fantastique ainsi défendu. Quant à l’Adagio non troppo – que l’alto de Lise Berthaud installe dans un rêve dès ses premières mesures –  une magique fusion des timbres s’y opère pour un voyage intérieur et un moment de beauté suspendue, avant de plonger dans un finale dont les quatre interprètes se saisissent – résolument ! – pour en libérer la brûlante inspiration.

 

© Claude Doaré
 
Tchaïkovski corps et âme
 
C’est à Paris que Nikolaï Rubinstein disparut en 1881. La mort prématurée de cet ami et soutien de la première heure marqua profondément Tchaïkovski qui, quelques mois plus tard, rendit hommage « à la mémoire d’un grand artiste » dans l’une des réalisations les plus célèbres de sa musique de chambre : le Trio en la mineur op. 50 – en deux mouvements seulement, mais d’un ampleur inédite et d’une difficulté extrêmes, à commencer par une assez terrifiante partie de clavier. Pas question de tiédeur, de demi-mesure ici, il faut y aller et se donner, corps et âme, à une forme de maximalisme russe, tout en déjouant le piège de l’excès. Les frères Fouchenneret et François Salque mesurent parfaitement l’enjeu et s’engagent avec une autorité et un lyrisme auxquels on ne résiste pas. L’ampleur, le souffle ne sont jamais lourdeur (quel prodigieux pianiste est à l’œuvre ici ! ) et le déroulement du Thème et variations, prompt à s’enliser dans les mains d’interprètes moins inspirés, témoigne d’un sens des caractères, d’une variété des couleurs et, surtout, d’un équilibre et d’un bonheur du dialogue exemplaires
 
La fête musicale dure jusqu’au 26 avril à Deauville et promet de se conclure en beauté, avec d’abord une soirée Beethoven / Franck réunissant le Quatuor Hermès et Adam Laloum (le 25), puis un concert d’orchestre de couleur viennoise ( Webern, Schönberg, Mahler) avec L’Atelier de Musique (la formation du festival) et Stéphane Degout, sous la baguette de Pierre Dumoussaud.
Enfin, n’oubliez pas que la musique à Deauville, c’est aussi l’Août musical, organisé par la même équipe et dans le même esprit. Rendez-vous du 31 juillet au 9 août prochains donc et, bien évidemment, en 2026 pour le 30e Festival !
 
Alain Cochard
 

 

Deauville, salle Elie de Brignac, 19 avril 2025 ; le Festival de Pâques se poursuit jusqu’au 26 avril // musiqueadeauville.com/paques2025/
 

Photo © Claude Doaré

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