Quatre ans après son lancement, le Festival L’Esprit du Piano vient de démontrer montrer une fois de plus la pertinence de son projet dans la capitale d’Aquitaine en remportant un magnifique succès public. Autre signe révélateur pour la manifestation (fondée par Paul-Arnaud Péjouan, son directeur artistique, avec l’appui décisif du mécénat de la Fondation BNP Paribas), elle a su très vite tisser des liens avec les acteurs de la vie musicale bordelaise. C’était déjà le cas avec l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine, une collaboration qui s’est poursuivie cette année et à laquelle s’ajoute désormais celle avec le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux.

Alondra de la Parra © DR
 
La jeune Alondra de la Parra dirige un programme où l’on goûte le tonus et sens de la couleur qui la caractérisent. En première partie, le Concerto n° 3 de Rachmaninov conduit l’artiste américano-mexicaine à faire équipe avec Natasha Paremski. Américaine d’origine russe, la soliste ne manque certes pas d’aplomb face à la redoutable partition, mais cette efficacité virtuose s’exerce trop au détriment du dialogue avec sa partenaire. On aimerait qu’elle mette son jeu plus en accord avec la respiration de l’orchestre, avec les timbres qu’Alondra de la Parra cultive ; le résultat demeure hélas trop monochrome.
On se rattrape ô combien ! matière de couleur lors de la seconde partie de soirée, d’abord avec un bouquet de Danses slaves op. 46 (les nos 1, 2, 5, 7 et 8) de Dvorak que « la » chef enlève avec un peps et un charmes irrésistibles. Même réussite dans Danzòn n° 2 d’Arturo Marquez (pièce dont Gustavo Dudamel a fait la gloire). Alondra de la Parra est il est vrai dans son jardin ici et y entraîne les musiciens de l’ONBA avec un revigorante énergie.
 
 

Monty Alexander © DR

La formule convient aussi pour définir l’impression laissée le lendemain par le concert de Monty Alexander. Le jazz a toujours eu droit de cité à l’Esprit du Piano et, avec cet artiste, une véritable légende vivante prend cette année place sur la scène de l’Auditorium de Bordeaux entourée de fidèles complices : Gerald Canon (contrebasse), Obed Calvaire (batterie) et Leon Duncan (guitare basse). Presque deux heures de bonheur sans mélange ; un jazz savant, profondément inventif, qui laisse l’ésotérisme et l’entre-nous à d’autres pour n’être que plaisir partagé, jubilation rythmique et débordante imagination sonore. Une provision de vitamine C pour l’hiver !
 
Une découverte attend les mélomanes bordelais lors du « concert-balade » du dimanche matin avec la venue de Li Jian (photo). La France connaît très peu encore l’art de ce pianiste chinois, formé en France par Pierre Sancan et aux Etats-Unis par Mieczylslaw Horszowski. Beauté, diversité, subtilité du toucher (auquel l’acoustique d’Auditorium rend il est vrai totalement justice), l’interprète raffine les timbres du Livre I des Images de Debussy (mention spéciale pour un magique Hommage à Rameau) avant de nous embarquer dans une Sonate D. 959 de Schubert vécue avec une humanité et une poésie – une foncière simplicité aussi - peu ordinaires. En bis, deux Nocturnes de Chopin (Op. 48/1 et Op. 9/2) et le premier mouvement de la Sonate K. 545, d’une impalpable délicatesse, ne font qu’attiser l’envie des auditeurs bordelais de vite retrouver Li Jian.
 

Vanessa Wagner © Leonard de Serres
 
Fin de week-end end sous le signe de la sobriété et du recueillement : le Chœur de l’Opéra national de Bordeaux est en effet sur le pont pour le Via Crucis de Liszt. Après avoir préludé à l’ouvrage avec quelques extraits des Harmonies poétiques et religieuses (Invocation, Pensées des morts, Hymne de l’enfant à son réveil, Cantique d’Amour) défendus avec beaucoup de sensibilité, Vanessa Wagner s’unit à la formation chorale, dirigée pour l’occasion par Philippe Molinié. La conception séduit par sa dimension très humaine et  incarnée, à rebours de l’ascétisme parfois un peu trop complaisamment cultivé dans cet ouvrage, austère et singulier il est vrai.
 
Alain Cochard
 
Bordeaux, Auditorium, les 14, 15 et 16 novembre 2014

photo Li Jian © DR