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Achille in Sciro de Francesco Corselli selon Mariame Clément au Teatro Real de Madrid (streaming) – Splendide exhumation – Compte-rendu
Né dans la région de Parme d’un père français maître de ballet, Francesco Corselli (ou Francisco Courcelle, 1705-1778) fut, après de premiers pas musicaux dans sa contrée d’origine, un compositeur attaché à la cour d’Espagne. On lui doit un certain nombre de pages religieuses et une dizaine d’opéras (sur des livrets en italiens et en espagnol). Ainsi en est-il de l’opéra Achille in Sciro (Achille à Skyros) représenté en 1744 au théâtre du Palais royal du Buen Retiro, siège habituel de la cour madrilène, aux fins de célébrer le mariage de l’Infante d’Espagne María Teresa Rafaela, fille de Philippe V, avec le Dauphin Louis de France, fils de Louis XV. L’œuvre devait en rester là, jusqu’à une recréation en 2018 à Dallas (!) et enfin la nouvelle production au Teatro Real de Madrid. Celle-ci était prévue en 2020, mais fut finalement annulée en raison du contexte sanitaire. La voici donc dans sa réalisation éclatante, telle que nous l’avons vue, diffusée en direct.
Francesco Corselli (1705-1778) © wikipedia.org
Les soubresauts de la production ne devaient cependant pas en rester là, puisque Franco Fagioli, prévu pour le rôle-titre, déclaré souffrant devait renoncer. Le jeune contre-ténor Gabriel Díaz a dû au dernier moment le remplacer (avec succès, nous y reviendrons). Sur un livret en italien de Métastase (utilisé par d’autres compositeurs dont Antonio Caldara et Domenico Sarro), l’intrigue « peut se résumer en ce qu’une femme qui joue un homme se sent sexuellement attirée par un homme déguisé en femme », comme l’indique la metteuse en scène Mariame Clément ; ou la mode « queer » avant la lettre, avec mascarades et travestissements d’homme en femme et de femme en homme, comme d’ailleurs souvent à cette époque, pour conter les frasques mythologiques d’Achille échappé à la guerre de Troie et tombé éperdument amoureux. La musique illustre au plus près dans une suite d’arias da capo vivement ornementés, coupés de récitatifs enlevés sur une orchestration brillante. Une manière de mettre en valeur les exploits vocaux des chanteurs (dont le célèbre castrat Farinelli, attaché lui aussi à la cour espagnole), comme il se devait.
Francesca Aspromonte (Deidamia) & Gabriel Díaz (Pirra/Achille) © Javier del Real
Le faste féerique était aussi de la partie. Et c’est ce qu’a su retrouver Mariame Clément (avec Julia Hansen à la scénographie et aux costumes), sans relecture incongrue, autour d’un décor unique de grotte rougeoyante, des vêtures antiques ou d’époque, des gestes et situations bien campés. Avec aussi une manière de mise en abyme appropriée, par la présence du personnage de l’Infante (tenu par l'actrice Katia Klein, photo à g.) comme spectatrice de ces ébats et au bout du compte des dignitaires royaux en perruque (puisque le livret réécrit pour l’occasion de la représentation madrilène d’époque, chante en toute fin la fin la gloire de l’Espagne et de la France réunies).
Katia Klein dans le rôle de l'Infante © Javier del Real
Les interprètes se donnent sans compter, vocalement comme dramatiquement. Gabriel Díaz, que nous citions, est une vibrante incarnation du héros, avec sa tessiture de contre-ténor éperdue et une expression ardente. Belle prise de rôle - et de dernière minute ! La soprano Francesca Aspromonte s’épanche judicieusement pour la princesse Déidamie dont Achille travesti s’éprend. Les deux airs de bravoure de Teagene, autre travesti de femme en homme cette fois (ce qui nous vaut un échange de baiser homme-femme travestis), sont lancés avec panache par Sabina Puértolas (photo à dr.). Autre triomphatrice de la soirée, à laquelle le public fait un accueil trépidant.
© Javier del Real
Le contre-ténor Tim Mead, le ténor Krystian Adam, le baryton Mirco Palazzi et le ténor Juan Sancho figurent avec justesse les suivants et seconds rôles Ulysse, Acarde, Lycomède et Néarque. Le chœur du Teatro Real (préparé par Andrés Máspero) apporte le bon appoint pour ses trois apparitions, tandis que que l’Orchestre baroque de Séville resplendit sous la battue énergique, devant son clavecin, du directeur musical maison, Ivor Bolton. Dans ce théâtre qui rend le meilleur honneur à son nom (« royal ») et au patrimoine musical de son pays, une exhumation dans toute sa splendeur (fruit d’une coproduction de la scène madrilène avec le Theater an der Wien).
Pierre-René Serna
F. Corselli : Achille in Sciro - Teatro Real de Madrid, 25 février 2023 (streaming).
Photo © Javier del Real
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