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​Le Dieu bleu de Reynaldo Hahn par les Frivolités Parisiennes et Dylan Corlay (1 CD B. Records) – Un chef-d’œuvre retrouvé – Compte-rendu

 
Les Frivolités Parisiennes et Dylan Corlay (photo) nous gâtent ! Après avoir joué un rôle essentiel dans le retour à la scène des bien oubliés, et pourtant si délicieux, Contes de Perrault de Félix Foudrain (une production créée à l’Opéra de Reims (1), puis vue Paris, Compiègne, Tourcoing, que l’on retrouvera à Dijon en novembre prochain), ils font à nouveau l’actualité, discographique celle là, avec une autre recréation, celle du ballet Le Dieu bleu de Reynaldo Hahn.
 
Un
live impatiemment attendu
 
Ceux qui étaient présents le 21 septembre 2023 à Soissons pour la renaissance – dans le cadre du Festival de Laon – d’une partition jamais redonnée en France depuis 1912 (Concertclassic n’avait pas manqué de vous en rendre compte)(2), attendaient avec impatience la parution de l’enregistrement de ce concert – splendidement capté par les micros de Baptiste Chouquet. C’est là un apport irremplaçable à la connaissance d’un compositeur dont on prend enfin toute la mesure depuis une bonne vingtaine d’années.

 

Les Frivolités Parisiennes ( Christophe Mirambeau au centre) © Bernard Martinez
 

Le point final à la musique de ballet du XIXe siècle


Il faut rendre à César ... – Commençons par souligner tout ce que le retour à la vie du Dieu bleu doit au musicologue, metteur en scène et membre de la compagnie Les Frivolités Parisiennes, Christophe Mirambeau. A cette partition, qui le hante proprement depuis de longues années et il a su convaincre les musiciens des « Frivos » de s’intéresser pour en livrer une interprétation qui fera date.
 
« Son incroyable modernité, [...] n’a pas été reconnue à sa création, souligne C. Mirambeau, au sujet d’un ballet écrit sur un argument de Jean Cocteau et Federico de Madrazo. Le Dieu bleu met en quelque sorte un point final à la musique de ballet issue de la tradition du XIXe siècle, tandis que Petrouchka (Stravinski), la saison précédente, et Daphnis et Chloé, créé la même saison aux Ballets Russes, ouvrent un nouvel avenir à la musique écrite pour la danse. D’après ce qu’on a pu lire dans la presse d’époque, la partition du Dieu bleu (d’une difficulté incroyable) n’avait pas forcément été bien exécutée par l’orchestre lors de la création à Paris. L’ensemble avait donc été mal perçu, jugé peu moderne. Quand Diaghilev avait commandé ce Dieu bleu, il ambitionnait la réitération du succès « oriental » de Shéhérazade lors de l’arrivée des Ballets Russes à Paris en 1910, un ballet qui avait ébloui tout le monde, un hit incroyable qui avait révolutionné la création chorégraphique. Avec cette commande du Dieu bleu, il visait un succès identique. La reprise du ballet quelques mois plus tard à Londres a été bien plus appréciée, car l’orchestre était meilleur. Puis, la modernité du Daphnis de Ravel et du Sacre du Printemps de Stravinski a tout balayé sur son passage ... » (3)

 

 
Un art de l’orchestration consommé

Injuste oubli, car la partition créée le 13 mai 1912 au théâtre du Châtelet, dans le cadre de la saison des Ballets Russes (4), sur une chorégraphie de Michel Fokine, Léon Bakst signant décors et costumes, se révèle d’une richesse surprenante. L’argument, située dans une Inde fantastique et qui voit une jeune fille promise à être livrée aux monstres du temple, pour avoir interrompu le rite faisant prêtre un jeune hindou dont elle est éprise, finalement sauvée par l’intervention du Dieu bleu et unie à son bien aimé, tient certes en très peu de place, mais a inspiré à Reynaldo Haydn une musique étonnamment variée qui montre un sens des timbres et art de l’orchestration consommés mis au service d’une écriture aussi évocatrice que parfaitement caractérisée dans chacun des seize épisodes qui divisent l’ouvrage (en un acte).

Les « Frivos » en effectif XXL   

Ecrit pour une grande formation symphonique, Le Dieu bleu constitue en outre le projet le plus ambitieux des Frivolités Parisiennes en termes d’effectif depuis la naissance de la compagnie. Il aura fallu agréger de nombreux « supplémentaires » autour du noyau habituel : et le résultat n’en apparaît que plus éblouissant, Dylan Corlay parvenant à résultat d’une parfaite homogénéité, d’autant plus admirable qu’il s’agissait pour les instrumentistes d’apprivoiser une partition inconnue qui confronte les exécutants à quantité de difficultés techniques.
« Embarquement pour le rêve », écrivions-nous au lendemain du concert de 2023 à Soissons. C’est bien à cela que cet enregistrement vous invite. Courrez le découvrir !
 
Quant à l’actualité prochaine des Frivolités Parisiennes, notez que la formidable production de Coup de roulis de Messager dans la mise en scène de Sol Espeche, vue à l’Athénée en mars 2023 (5) sera reprise en mai à l’Opéra de Reims (16 et 17), à la Maison de la Culture d’Amiens (22) et à l’Opéra de Clermont-Ferrand (25), à nouveau sous la tonique direction de l’excellente Alexandra Cravero. (6)

Alain Cochard

 

 
(1) www.concertclassic.com/article/les-contes-de-perrault-de-felix-fourdrain-lopera-de-reims-reprise-paristh-de-lathenee-du-4
 
(2) www.concertclassic.com/article/les-frivolites-parisiennes-et-dylan-corlay-recreent-le-dieu-bleu-de-reynaldo-hahn-au
 
(3) Propos extraits de l’interview de Benjamin El Arbi, Mathieu Franot (cofondateurs des Frivolités Parisiennes) et Christophe Mirambeau qui accompagne le CD B.Records (LBM074)
 
(4) Saison 1912, qui comprenait aussi Thamar (Balakirev), L’Après-midi d’un faune et Daphnis et Chloé.
 
(5) www.concertclassic.com/article/coups-de-roulis-dandre-messager-latelier-lyrique-de-tourcoing-au-theatre-de-lathenee-du-10
 
(6) lesfrivolitesparisiennes.com/spectacles/coups-de-roulis
 
Photo © DR

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