« Quelle musique extraordinaire ; quel dommage qu’on l’entende si rarement ! », s’exclame une auditrice enthousiaste au sortir du concert d’Amandine Beyer (photo) et de ses Incogniti au Festival de Saint-Denis. Le seul et unique compositeur au programme, Antonio Vivaldi, n’a pourtant rien d’un inconnu, mais il vrai que les concerti con molti strumenti donnés par la violoniste et ses troupes, du fait de l’originalité et de la variété des effectifs requis, sont autrement plus compliqués – et coûteux ! – à programmer que les Saisons ou L’Estro Armonico. Près de vingt-cinq instrumentistes sont présents sur la scène d’une Légion d’Honneur bondée pour un programme « Le Monde à l’envers » qui reprend à l’identique celui d’une disque sorti l’année dernière (Harmonia Mundi).
 

Photo © Festival de Saint-Denis - Christophe Fillieule 
 
« Vivaldi est le Rimski-Korsakov ou le Ravel du XVIIIe siècle », confiait Amandine Beyer il y a peu.(1) Et de nous donner à ressentir, d’entrée de jeu, la formidable curiosité de Vivaldi envers les timbres instrumentaux avec le Concerto en ut majeur RV 556, qui fait appel à deux clarinettes (tenues par Toni Salar et Renaud Guy-Rousseau), où le Prêtre Roux montre sa compréhension du potentiel d’un instrument dont il venait de faire la découverte. Même jubilation, même plénitude heureuse dans le RV 536 en la mineur pour deux hautbois, qui prend un relief tout particulier servi par les jeux bien typés de Gabriel Pidoux, aux couleurs plutôt tendres, et de Neven Lesage, plus « claironnant » – un soliste que l’on retrouvera au côté de l’irradiant archet d’Amandine Beyer dans le Concerto pour violon et hautbois en sol mineur RV 576, non moins réussi (bravo aussi au bassoniste Alejandro Perez-Marin !).
 
Vrai régal pour l’oreille, les concerti per molti strumenti le sont aussi pour l’œil et un concerto «expérimental » tel que le fa majeur RV572 « Il Proteo ó sia il mondo al rovescio » (qui donne sont titre au disque et au programme) prend tout son sens – et sa saveur ! – lorsque l’auditeur est aussi spectateur des échanges que le compositeur installe entre les groupes d’instruments. Et de la rayonnante énergie avec laquelle la violoniste emmène ses partenaires dans les joyeuses et si inventives expérimentations vivaldiennes.
 

© Festival de Saint-Denis - Christophe Fillieule
 
Une énergie que l’on retrouve, plus saisissante encore, dans le Concerto pour deux hautbois, deux cors et basson en fa majeur RV 571 et le Concerto en ré majeur RV 562 (avec en son Allegro final une cadence de violon, supérieurement défendue par Amandine Beyer) qui présentent tous deux la particularité de faire appel deux cors (fièrement tenus par Cyril Vittecoq et Théo Suchanek) et aux timbales (Noé Ferro) et que les interprètes déploient avec ce qu’il faut de martial mais sans pesanteur excessive.  
Entre ces deux vigoureuses pièces, l’original Concerto pour flûte en mi mineur RV 432, en un seul mouvement, qui se referme par une section Grave sopra il Libro laissée à l’improvisation du soliste, ne souligne que mieux la virtuosité et la finesse de Manuel Granatiero (lequel, pour le reste du programme, se partage entre traverso et flûte à bec, à l’instar de sa collègue Eleonora Biscevic).
 
Bonne nouvelle, Amandine Beyer et Gli Incogniti n’en ont pas fini avec « Le Monde à l’envers » et, après Saint-Denis, on les retrouvera dans ce programme en Allemagne (Herrenchiemsee) le 23 juillet, au Festival Musicancy (24 juillet), aux Promenades Musicales du Pays d’Auge (26 juillet), aux Musicales de Normandie (27 juillet) et au Festival de Sablé (22 août).
 
Alain Cochard