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Aziz Shokhakimov dirige l’Orchestre de Paris – Savoureux kaléidoscope – Compte-rendu

 
Décidément, se profile à l’horizon une génération de chefs à la jeune maturité éclatante, car sans parler des Mäkelä et Peltokoski, les Viotti, Shokhakimov et Petr Popelka ont déjà pris la relève. On devait avoir ce dernier pour la création française du Concerto pour violoncelle n° 2 de Thierry Escaich avec l’Orchestre de Paris, mais, souffrant, il a laissé la place au brillant Aziz Shokhakimov, recrue récente de l’hexagone puisqu’il dirige l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg depuis 2021, avec un succès croissant.  
 
En premier, tout au long de ce concert original par la teneur de son programme bigarré, on aura apprécié, une nouvelle fois, la remarquable ascension de l’Orchestre de Paris depuis que Klaus Mäkelä s’en est emparé. Il partait de haut, le voici aujourd’hui au firmament avec une couleur ambrée, une musicalité aux aguets, répondant prestement aux sollicitations des baguettes les plus variées : réflexes affûtés et pupitres d’exception, pour la flûte notamment.
 

© Mathias Benguigui

 
Concert bigarré donc, car il s’ouvrait sur une œuvre digne d’une BD fantastique, La Sorcière du midi, op. 108 (1896) de Dvořák, que l’on joue  peu, comme d’ailleurs l’ensemble des poèmes symphoniques du compositeur, écrits après son retour des Etats-Unis, sur des ballades de Karel Jaromír Erben, emblème du romantisme tchèque. Contrairement aux poèmes de Liszt, qui voguent vers l’idéal, ceux de Dvořák se veulent chargés d’une couleur locale appuyée. Délicatement, le chef en a opposé les contrastes rythmiques, les galopades frénétiques et les sinuosités des cordes avec une ardeur qui rendait la scène vivante, même si les poèmes symphoniques ne disent que ce qu’ils peuvent.
 

© Mathias Benguigui

 
Introduction réjouissante avant le festin Escaich, porté par son complice Gautier Capuçon, pour qui il a écrit son 2Concerto – dont la première audition a eu lieu à Leipzig, le 16 mars 2023, par le violoncelliste français et Andris Nelsons à la tête de l’Orchestre du Gewandhaus – co-commanditaire de l’ouvrage avec le Boston Symphony Orchestra. On sait la palette du compositeur, riche et chatoyante. Ici elle porte admirablement son surtitre de Chants de l’aube. On flotte comme sur une mer irisée que viennent caresser les rayons d’un soleil matinal, les sonorités sont transparentes ou stridentes comme de vifs traits de lumière, fumeuses parfois aussi. Enfin, en une longue ascension, elles s’exaltent tandis que des rythmes saccadés ou effleurés viennent leur donner vie et les intégrer à ce qui se voudrait une fusion avec le mouvement de l’univers. Le violoncelle velouté de Gautier Capuçon s’est mêlé aux feulements et aux transes de l’orchestre avec des couleurs debussystes, puis s’est élevé avec une pulsation fiévreuse, comme un second Sacre du printemps, mais sans barbarie. Et ici, sans parler des finesses sonores de l’orchestre, la baguette délicate de Shokhakimov a fait miroiter la partition comme s’il la respirait, en une mouvante mosaïque. Un moment de bonheur subtil et enchanteur.
 

© Mathias Benguigui

Evidemment, avec la 5e Symphonie en ré mineur, op.47 de Chostakovitch, on abordait à d’autres rivages, tout en soubresauts, en déchaînements, avec son mélange inimitable d’humour, de force subversive et de nostalgie poignante. Et toutes ces nuances, le chef ouzbek les opposait avec une clarté vibrante, sans jamais aller jusqu’à la brutalité, faisant sonner les contrastes avec la juste mesure, frayant nettement son chemin parmi les percussions explosives et les douceurs navrées de la flûte. Le tout avec une gestique souple, élégante, reflétant une vive intelligence des intentions du compositeur. Prise royale décidément que cette baguette  dont l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg a prolongé la collaboration jusqu’en 2026.

 

En discussion avec Thierry Escaich pendant les répétitions © Mathias Benguigui

Mais on ne saurait oublier la friandise de la soirée lorsque Thierry Escaich et Gautier Capuçon, répondant aux bravos de la salle après le Concerto, ont pris place sur le haut de l’estrade pour dérouler les anneaux de l’envoûtant air de Dalila : « Mon cœur s’ouvre à ta voix », l’une des perles de l’opéra de Saint-Saëns. Le violoncelle de Capuçon y déployait une sensualité et une grâce envoûtantes. Et on a pu une fois de plus constater quel maître du clavier est Escaich, que l’on connaît mieux à l’orgue qu'au piano comme c'était ici le cas. Sa fluidité de toucher était une onde qui courait pour exalter la séduction de la mélodie. Un instant précieux, comme une boîte magique, un instant entrouverte.
 
Notez qu’Aziz Shokhakimov sera de retour à la Philharmonie de Paris le 26 novembre, avec l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg et Nemanja Radulovic à l’archet, pour une soirée qui marque le point d’orgue de la résidence du violoniste à l’OPS cette année. (1)
 
 
Jacqueline Thuilleux

 
Philharmonie de Paris, le 17 octobre 2024.

Photo : Gautier Capuçon et Aziz Shokhakimov en répétition © Mathias Benguigui
 

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