S’il a entamé sa carrière de chef français comme jeune patron des Concerts Colonne, Bertrand de Billy a mis du temps à retourner dans sa patrie une fois mis sur orbite internationale. Comme si ses compatriotes ne croyaient guère à sa bonne étoile. Un seul y avait cru, c’est Marcel Landowski qui m’avait téléphoné un jour pour me signaler ses progrès à la tête de Colonne… Puis, avec le nouveau siècle vint la direction musicale d’une grande maison, le Liceu de Barcelone, d’où on l’invite à Vienne, Berlin, Munich, Londres, New York, Salzbourg, et même à l’Opéra de Paris ! Un vrai « pro », un « bras » comme on dit, quelqu’un sur qui on peut compter, loin des people.

L’Orchestre de Paris le fit venir pour la première fois en 2010 au côté de la grande Susan Graham. Le revoici tout seul pour la si rare Symphonie en la écrite par un Saint-Saëns de 15 ans, puis avec cinq solistes et le Chœur de l’Orchestre de Paris tout revigoré par son travail avec Lionel Sow pour la dernière Messe de Schubert. Quoi de commun entre la promesse de l’aube d’une longue vie de musicien à cheval sur deux siècles et le testament religieux d’un génie foudroyé ? La maîtrise technique la plus rigoureuse et l’authenticité de l’inspiration.

Chez le Saint-Saëns d’avant l’Institut, se mêlent la science de Haydn et l’ingénuité de Mendelssohn. Si l’on devine en filigrane le classicisme viennois, la légèreté de touche de l’orchestration est totalement française : cordes et petite harmonie s’en donnent à cœur joie dans ce concert européen. Malgré la beauté formelle du chant des cinq solistes vocaux, l’ultime Messe de Schubert bruit de chœurs et d’instruments dignes de Beethoven mort l’année précédente. Entre la monumentalité du Gloria et la douceur apaisée du Sanctus ou du Benedictus, un homme se sait condamné. Le chef français a parfaitement assumé les contrastes de la partition.

Jacques Doucelin

Paris, Salle Pleyel, 28 novembre 2013

Photo : Marco Borggreve