Journal
Boris Godounov au Théâtre des Champs-Elysées – Forts boyards – Compte-rendu
Avec ces très beaux décors gigognes – chargés d’histoire(s) – imaginés par Pierre-André Weitz, qui évoquent l’inexorable immuabilité de la Russie, de l'ère tsariste à celle du dictateur Poutine, Olivier Py aborde Boris Godounov avec un désir manifeste de lisibilité. Pour une fois, il ne cherche pas surcharger le propos et à se disperser en ajoutant ses habituels défilés de nus masculins en porte-jarretelles et bas résille. Saisi par la violence de l’intrigue, il préfère retracer avec froideur et distance cette leçon d’histoire politique qui semble se répéter à l’infini. Malgré le faste et la puissance, le Boris dessiné par Py est un criminel à la dérive, hanté par son crime, que la solitude du pouvoir suprême ne calmera pas et que – tel Macbeth – la mort viendra libérer de l’enfer d’une culpabilité trop lourde à porter.
Pour retracer le portrait de cette Russie immémorielle, le metteur en scène mêle les époques, les lieux et les éléments, transportant le public du couronnement de Boris où les invités parés d’or sont placés dans les niches d’un théâtre artificiel, à une salle du Kremlin où le monarque reçoit Chouïski séparé par une gigantesque table (en référence à la rencontre Poutine/Macron), puis utilise un imposant lustre, semblable à une montgolfière, qui lui permet de s'élever dans les airs pour mieux dominer le monde.
Autre image forte, celle où Pimène raconte l’histoire du pays tandis que Grigori défile dans les vêtements des principaux dictateurs russes, signe de la continuité et de la douleur supportées par tout un peuple. A cour enfin, la sépulture minuscule sur laquelle se recueille la fille de Boris, veuve éplorée, est également là, omniprésente, pour rappeler la mort de Dimitri ordonnée par Boris qui, à la différence de Poutine, est déchiré par ce geste dont il ne se remettra pas et qui le fera basculer vers la folie, non sans avoir légué la couronne à son fils Fiodor. Malheureusement la beauté et la force exprimées dans quelques-uns des sept tableaux, ne suffisent pas à maintenir l’attention à cause d’une direction d’acteur assez lâche, défaut trop souvent criant chez Py, plus habile à faire tournoyer les décors et à donner du rythme en créant la surprise, ou en faisant intervenir des foules.
Hétérogène, le plateau vocal est dominé par la belle présence du baryton-basse lituanien Alexander Roslavets qui avait déjà remplacé Matthias Goerne à Toulouse et effectué des débuts remarqués dans le rôle-titre. Le timbre est prenant, taillé dans le plus pur granit, le verbe puissamment projeté et l’incarnation riche en grandeur et en pathétisme pour transmettre la variété des affects qui composent le personnage. Au registre des satisfactions, la belle voix saine et vibrante de Mikhail Timoshenko, impressionnant Andreï, le solide Varlaam de Yuri Kissin, le parfait Mitioukha de Barnaby Rea, le troublant « fou du roi » campé par Kristofer Lundin (L’innocent), sans oublier le faux Dimitri de Airam Hernández. Marius Brenciu échoue en revanche à donner corps à son Chouïski qui sonne involontairement acide, Roberto Scandiuzzi peine à tenir le legato indispensable à la ligne de Pimène, l’aubergiste caricaturale de Sarah Laulan et le Fiodor un peu pâle de Victoire Bunel ne suscitant que peu d’intérêt.
A la baguette le Letton Andris Poga dirige la version originale (1869) avec noblesse et cherche à travers le flamboiement d’une fresque charpentée à nuancer la narration et à maintenir un certain équilibre, tout en révélant les subtilités de la partition jusque dans ses moments les plus tendus où s’intègrent de majestueux chœurs (bravo au Chœur de l’Opéra national du Capitole, dir. Gabriel Bourgoin, et à la Maîtrise des Hauts-de-Seine, dir. Gaël Darchen).
François Lesueur
Moussorgski : Boris Godounov (version 1869) – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 28 février ; prochaines représentations les 1er, 3, 5 & 7 mars 2024 // www.theatrechampselysees.fr/saison-2023-2024/opera-mis-en-scene/boris-godounov
Photo © Mirco Magliocca
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