Journal
Brahms et La Musikfest Parisienne – Cyclone printanier – Compte-rendu
Ces retrouvailles jouissives, il appartenait à la salle Cortot, véritable petit écrin sonore et architectural, de les faire miroiter grâce à une chaleureuse initiative, fédérée autour de la violoniste Liya Petrova. Créée l’an passé, la Musikfest Parisienne, a pour projet, en quelques concerts gratuits, de donner aux musiciens malmenés le bonheur de jouer ensemble et au public de les redécouvrir.
© la musikfestparisienne
Le tout autour d’un thème fort, pour que cette série de neuf pièces de musique de chambre, déroulée en trois séances, constitue une vraie démarche artistique et intellectuelle: cette fois, après l’immersion Beethoven de l’an dernier, voici une descente dans les profondeurs d’un univers auquel une fine équipe a décidé depuis des années de se consacrer, le Brahms chambriste, dont la complexité et la richesse les a fait entamer une intégrale au disque.
Ces fines lames, on les connaît bien, de Lise Berthaud à François Salque. Ils ne sont pas toujours des stars internationales, sauf quelques-uns comme Alexandre Kantorow : affaire de tempérament plus que de talent. Eux ont choisi la chaleur de l’échange, la richesse de la discussion, la quête commune. On les a souvent entendus au Festival de Pâques de Deauville, où ils sont chez eux, et les revoici en figures libres, pour replonger dans ce climat brahmsien bien moins évident que ses grandes œuvres symphoniques ou concertantes, à l’ossature puissante, à la dynamique très dessinée, qui épousent les contours des grandes salles.
Dans son vaste corpus de musique de chambre, Brahms, éclairé par ces voyeurs pointus, aux aguets, se révèle infiniment plus difficile et varié que l’image un peu monolithique de grand continuateur du classicisme qui lui est souvent accolée. Tout l’homme, et sans doute, ce qu’il n’a pas vraiment réussi à vivre, est là, dans ces successions de séquences grinçantes ou moelleuses, dans ces rythmes hongrois ou ces longues complaintes, dans ces modulations passant du sauvage à l’intime. Aucune réserve, l’homme est à nu, et le compositeur-musicologue livre en d’incessants tours de passe-passe, la maîtrise avec laquelle il mêle instincts de jeunesse et maturité épanouie.
Prodigieux d’inventivité dans cette vitalité qui part en tout sens et se renouvelle constamment que le Quatuor pour piano et cordes op. 60, dont Brahms écrivit une partie dans sa toute jeunesse, alors qu’il était sous l’emprise de ses sentiments pour Clara Schumann et se retrouvait en Werther, le héros suicidaire, puis compléta près de vingt ans plus tard, avec une force contrôlée. Merveille surtout que l’introduction du 3e mouvement, où le violoncelle de Yann Levionnois a lancé sa complainte nostalgique, bouleversante de simplicité, juste soutenue par les accords du piano d’Eric Le Sage, puis, repris avec des couleurs plus affirmées, par le violon subtil de Pierre Fouchenneret et le sublime alto de Lise Berthaud.
© la musikfestparisienne
Plus dans les mémoires, le Quintette avec piano, op. 34, qui finissait le concert, mettait en scène d’autres archets, ceux de Liya Petrova, David Petrlik, Grégoire Vecchioni et Bruno Philippe, outre le piano de Eric Le Sage et s’engageait dans une frénésie qui fait réfléchir sur les contrastes de l’homme Brahms.
La palme demeurant cependant pour le 2e Quintette à cordes, op. 111, écrit en 1890, et dont Brahms considérait alors que c’était sa dernière œuvre car il ne souhaitait plus composer. D’un lyrisme somptueux, joué en état de grâce par Fouchenneret, Berthaud, Levionnois, Shuichi Okada et Adrien Boisseau, l’œuvre semblait renaître à chaque coup d’archet, se promener dans des sphères totalement inattendues, comme dans les derniers quatuors de Beethoven. Plus que porteuse de sentiments humains, la musique en générait d’autres, et surtout, elle clamait sa liberté, sa vie propre. Une richesse inouïe, encore avivée par la formidable complicité des cinq exécutants, qui se lançaient la balle au bond, ricochant ou se mêlant. Heureux…
La suite de la Musikfest s’annonce tout aussi prometteuse, avec la présence au clavier d’Adam Laloum, d’Alexandre Kantorow et de la subtile clarinette de Nicolas Baldeyrou, si porteuse de nostalgie. Tout un monde à explorer, permettant d’infinies découvertes. On aime Brahms…
Notez que les concerts commencent à 18h30 !
Jacqueline Thuilleux
Photo © lamusikfestparisienne
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