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Bread, Water and Salt de Luca Francesconi en création mondiale à l’Académie Santa Cecilia de Rome - Chant d’amour et de paix - Compte-rendu

La saison de concerts de l’Accademia Santa Cecilia de Rome s’ouvre avec une création contemporaine. C’était le désir d’Antonio Pappano, directeur de cet orchestre (et seul orchestre italien, avec celui de la Rai de Turin, à vocation symphonique) de marquer ainsi le nouvel élan qu’il imprime à son institution. Luca Francesconi (photo, au centre), né en 1956, compositeur italien de renommée mondiale, a été l’heureux élu avec Bread, Water and Salt. Une œuvre forte, qui sonne comme un appel à l’amitié entre les peuples.

Antonio Pappano © Musacchio & Ianniello

Le sujet, toutefois, ne revient pas au seul compositeur. Puisque c’est Sir Antonio (sujet britannique élevé à cette dignité) qui l’a choisi, sinon imposé : Nelson Mandela. Comme nous le confie lui-même le chef d’orchestre : « Notre saison symphonique est axée sur Beethoven, ses contemporains et nos contemporains. Pour ce concert d’ouverture avec l’Hymne à la Joie, je voulais trouver une correspondance du message de Schiller avec notre époque. J’avais pensé à cette commande en 2013. La figure de Mandela, qui venait juste de disparaître, s’est alors imposée. La force de Beethoven, sa créativité et sa persévérance, en lien avec le message simple et fort de Mandela. Et comme notre choix devait se porter sur un compositeur italien, Luca Francesconi s’est aussi naturellement imposé. »
 
Mais Francesconi n’en a pas moins marqué son empreinte sur le livret. Car si celui-ci est puisé à des fragments de textes ou discours de Mandela, c’est le compositeur lui-même qui les a sélectionnés et mis en forme. Avec une main sûre, d’une efficacité quasi théâtrale. C’est ainsi que ce propos « d’amitié, joie et égalité » (qualificatifs recueillis auprès du compositeur), s’achève sur ces mots poétiques autant que prophétiques : « La montagne bleue, la riche vallée, le rapide cour d’eau qui mène à la mer insatiable ». Une forme d’espoir et d’ouverture.
 
Musicalement l’œuvre se présente comme une vaste cantate pour orchestre, chœur et soliste. Commencée par des chuchotements indistincts, elle prend ensuite sa substance, oscille de passages d’échanges dramatiques entre le chœur et la soliste, entre parlé et chanté, devient un instant vaporeuse sur un orchestre de couleurs spectrales, pour enfin s’achever dans un grand moment d’ensemble de teinte mystique. À l’instar de ses paroles conclusives. Une œuvre prenante, digne de son sujet.

Pumeza Matshikiza © Musacchio & Ianniello

D’autant que les interprètes ne ménagent pas leurs effets ni leurs efforts : avec la soprano Pumeza Matshikiza (native d’Afrique du Sud), joignant à une tessiture étendue jusqu’au medium, de beaux accents emportés ou évanescents ; un orchestre et chœur soulevés d’un seul élan sous la battue vigoureuse de Pappano. Le public (chic) de l’Auditorium Parco della Musica, dans les Quartieri de la banlieue nord et bourgeoise de Rome, honoré de la présence du Président de la république italienne, réserve un triomphe qui n’est pas seulement de circonstance. Les Parisiens pourront en juger, puisque cette commande conjointe de Radio France est destinée à être reprise en février 2016 dans le cadre du festival Présence (à l’Auditorium de la Maison de la radio, par l’Orchestre philharmonique de Radio France).
 
La soirée s’achève par une IXe de Beethoven en situation. Qui offre à montrer les dignes vertus de cohésion de l’orchestre (le contrepoint des cordes dans l’Andante) et du chœur de l’Académie, agrémentés d’un quatuor vocal adapté (la soprano Rachel Willis-Sørensen, la contralto Adriana Di Paola, le ténor Stuart Skelton et la basse Michael Volle). Quand bien même, dans cette vaste salle de 3 000 places, par cette phalange de cent-vingt instrumentistes et ce chœur de quatre-vingt voix, les conditions ne doivent guère s’apparenter à celles d’époque (auxquelles nous ont justement habitué les baroqueux). Mais on notera la répartition voulue proche de cette manière historique : par étagements, premiers et seconds violons de part et d’autre ; et un jeu d’attaques tout autant, sans vibrato. Puisque l’on ne saurait plus restituer Beethoven à la façon de Furtwängler. Et c’est heureux !
 
Pierre-René Serna

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Rome, Accademia Nazionale di Santa Cecilia, 3 octobre 2015
www.santacecilia.it

Photo ( de g à dr.) : Pumeza Matshikiza, Luca Francesconi, Antonio Pappano © Musacchio & Ianniello

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