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Breaking the Waves de Missy Mazzoli à l’Opéra-Comique – Zizi and Bess – Compte-rendu
Parmi les nombreux opéras qui sont créés chaque année aux Etats-Unis, ceux de Missy Mazzoli (née en 1980) ont eu un retentissement suffisant pour que l’on en entende parler de ce côté-ci de l’Atlantique : le Met lui a même passé commande. Le deuxième de ses opus lyriques, créé en octobre 2016 à Philadelphie, a remporté un International Opera Award, et l’on était donc légitimement curieux de pouvoir juger sur pièce, l’Opéra-Comique ayant eu la bonne idée d’en coproduire une nouvelle mise en scène avec Opera Ventures, Scottish Opera et l’Opéra de Houston.
Inspiré du film de Lars von Trier sorti en 1996, Breaking the Waves s’inscrit dans cette nouvelle tendance de l’art lyrique à s’appuyer sur des longs métrages, avec pour avantage immédiat d’offrir au public un titre déjà connu, et donc susceptible de vaincre les réticences. Le livret de Royce Vavrek est théâtralement efficace, non dépourvu d’une certaine ambition poétique ; la mise en scène de Tom Morris créée en 2019 exploite toutes les ressources d’un décor tournant évoquant les fameuses falaises basaltiques de l’île de Skye, des projections permettant de nous transporter aussi vers la plate-forme de forage pétrolier où travaille le héros.
Et la musique ? Dans les années 1950, certains compositeurs américains, Giancarlo Menotti en tête, avaient opté pour le néo-Puccini, école qui compte encore des émules ; à présent, il semble que le néo-Britten ait la cote aux Etats-Unis, et c’est dans cette vague que s’inscrit Missy Mazzoli, sans briser grand-chose. Invoquer Peter Grimes comme modèle, comme le fait explicitement la compositrice, c’est faire planer sur son opéra une ombre gigantesque, et Breaking the Waves est loin d’offrir une partition aussi saisissante. Heureusement, après l’entracte, les moments plus originaux se multiplient, notamment à travers le recours à des instrumentaux moins courants (synthétiseur, guitare électrique), mais l’écriture orchestrale ne parvient pas toujours à retenir l’attention, alors que les voix sont plus gâtées. Les nombreuses parties chorales – exclusivement masculines, pour ces univers sexistes que sont le conseil des anciens de l’église ou la plate-forme pétrolière – ne sont pas non plus toutes aussi marquantes que les interventions en sprechgesang par-dessus lesquelles l’héroïne déclame son texte parlé. Quant aux « musiques d’orgasme », on est très loin de ce qu’ont pu composer Richard Strauss ou Dmitri Chostakovitch.
Car il est beaucoup question de sexe dans cet opéra : après avoir admiré l’organe de son mari, Bess McNeill devra, à la demande de son époux diminué par un accident, s’offrir à de multiples autres pricks, jusqu’au moment où elle sera assassinée par des marins. Si elle n’a pas créé le rôle à Philadelphie, Sydney Mancasola l’a déjà souvent interprété : elle livre une performance assez stupéfiante, surtout sur le plan scénique, mais sa voix est également très sollicitée. En mari dévirilisé, le barihunk Jarett Ott a un rôle moins développé, malgré une dernière scène qui le remet sur le devant de la scène. Autour d’eux s’affairent plusieurs personnages secondaires, parmi lesquels on remarque l’âpre mère de Susan Bullock, le caverneux ancien d’Andrew Nolen, le médecin compatissant d’Elgan Llŷr Thomas ou l’amie infirmière de Wallis Giunta.
Le chœur Aedes trouve ici une belle occasion de s’imposer, la direction de Mathieu Romano s’efforçant de tirer le meilleur parti de l’œuvre – l'Orchestre de chambre de Paris est en fosse. Sous les acclamations délirantes d’un public où leurs compatriotes étaient nombreux, Missy Mazzolli et son librettiste sont venus saluer sur le plateau. Breaking the Waves incarne-t-il l’avenir de l’opéra ? Un certain présent, du moins, mais il existe d’autres voies.
Laurent Bury
Missy Mazzoli : Breaking the Waves – Paris, Opéra-Comique, 31 mai 2023
Photo © S. Brion
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