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Bryce Dessner et l’Ensemble intercontemporain - Hybridations musicales - Compte-rendu
Bryce Dessner et l’Ensemble intercontemporain - Hybridations musicales - Compte-rendu
Il est bon de s’assurer, de temps en temps, que les cloisons qui séparent les genres musicaux d’aujourd’hui ne sont pas si étanches. Matthias Pintscher avait déjà invité par le passé le DJ Marko Nicodijevic à se produire avec l’Ensemble intercontemporain. Ce soir, pour le concert de rentrée de l’ensemble, il accueillait le guitariste Bryce Dessner, figure du rock indépendant, au sein d’un programme placé sous le signe de l’expérimentation et de l’hybridation musicale, ouvert avec les superpositions rythmiques des Three Places in New England du pionnier Charles Ives (1874-1954), dirigées ici avec plus de précision que d’enthousiasme.
Matthias Pintscher © Aymeric Warmé-Janville
Les rencontres du rock et de la création contemporaine, pour discontinues qu’elles soient, ne sont pas nouvelles et c’est d’ailleurs par un clin d’œil à l’histoire de l’ensemble qu’il dirige depuis 2013 que Matthias Pintscher concluait son concert, en reprenant The Perfect Stranger, œuvre que Frank Zappa (1940-1993) avait écrite à l’intention de Pierre Boulez (1925-2016) et que ce dernier avait créée en 1984. Cette pièce, qui s’apparente au genre du poème symphonique (dont le « programme » pourrait néanmoins s’oublier tout autant que celui de Also sprach Zarathustra), était revendiquée par son compositeur comme une « musique de danse ridiculement non-moderne ». Soit. Toujours est-il que The Perfect Stranger, plusieurs fois repris par l’Ensemble intercontemporain et désormais entré au répertoire de nombreux ensembles et orchestres de chambre, est un exemple d’hybridation réussie. En adoptant la lutherie traditionnelle de l’orchestre, Frank Zappa n’a pas perdu son style et a même pu expérimenter encore davantage une écriture rythmiquement complexe, lui qui citait comme influences fondamentales Edgar Varèse, Silvestre Revueltas ou Conlon Nancarrow. L’empreinte de Pierre Boulez, cité lui aussi comme inspiration majeure dès 1966 sur la pochette de l’album Freak Out !, est peut-être plus difficile à cerner, sinon dans quelques syncopes et les résonances. En revanche, la direction de Matthias Pintscher fait apparaître, notamment aux cordes, des parentés inattendues avec le lyrisme et l’atonalité d’Alban Berg.
Comme Frank Zappa, Bryce Dessner (né en 1976) est guitariste. Il représente lui aussi un courant lié au rock mais cherchant à s’écarter des aspects les plus commerciaux de l’industrie du divertissement. Dans les deux pièces programmées par Matthias Pintscher, le compositeur est à la guitare au côté de l’Ensemble intercontemporain. Ce sont les passages pour son instrument qui sont le plus convaincants : une sorte de cadence pour deux guitares électriques, avec sa consœur Christelle Séry, dans Raphael (2008), une figure où la musique repart de rien, juste un claquement répété dans l’extrême grave, dans Wires, donné en création. Quelques effets orchestraux, de belles phrases aux cuivres, mais dans l’ensemble l’orchestration est assez banale, voire ringarde (la ponctuation rythmique par les cordes graves). Surtout, la forme semble échapper à l’auteur dans ces pièces s’offrant en un mouvement unique mais qui au fond ne font que juxtaposer des séquences qui répètent les mêmes formules d’un minimalisme ne parvenant pas à évoluer. Une musique, finalement, bien trop sage et sans risque.
C’est tout le contraire de l’écriture merveilleusement virtuose d’Olga Neuwirth (née en 1968). Eleanor, œuvre créée l’an dernier à Salzbourg et que Matthias Pintscher donnait ici en création française, embrase pendant une demi-heure son effectif a priori hétérogène. Prenant appui sur des univers musicaux très identifiés – le blues de la chanteuse Della Miles, la batterie jazz de Tyshawn Sorey – elle les transforme peu à peu à travers le filtre de l’orchestre des sons électroniques et de la guitare électrique de Christelle Séry. Œuvre de combat, Eleanor met la musique en mouvement pour mieux porter les mots de Martin Luther King : ces textes lus sans affect, diffusés par les haut-parleurs, suspendent alors la musique avant de la faire couler de nouveau. Olga Neuwirth signe ici une œuvre engagée, audacieuse, en y mettant tout son art.
Jean-Guillaume Lebrun
Les rencontres du rock et de la création contemporaine, pour discontinues qu’elles soient, ne sont pas nouvelles et c’est d’ailleurs par un clin d’œil à l’histoire de l’ensemble qu’il dirige depuis 2013 que Matthias Pintscher concluait son concert, en reprenant The Perfect Stranger, œuvre que Frank Zappa (1940-1993) avait écrite à l’intention de Pierre Boulez (1925-2016) et que ce dernier avait créée en 1984. Cette pièce, qui s’apparente au genre du poème symphonique (dont le « programme » pourrait néanmoins s’oublier tout autant que celui de Also sprach Zarathustra), était revendiquée par son compositeur comme une « musique de danse ridiculement non-moderne ». Soit. Toujours est-il que The Perfect Stranger, plusieurs fois repris par l’Ensemble intercontemporain et désormais entré au répertoire de nombreux ensembles et orchestres de chambre, est un exemple d’hybridation réussie. En adoptant la lutherie traditionnelle de l’orchestre, Frank Zappa n’a pas perdu son style et a même pu expérimenter encore davantage une écriture rythmiquement complexe, lui qui citait comme influences fondamentales Edgar Varèse, Silvestre Revueltas ou Conlon Nancarrow. L’empreinte de Pierre Boulez, cité lui aussi comme inspiration majeure dès 1966 sur la pochette de l’album Freak Out !, est peut-être plus difficile à cerner, sinon dans quelques syncopes et les résonances. En revanche, la direction de Matthias Pintscher fait apparaître, notamment aux cordes, des parentés inattendues avec le lyrisme et l’atonalité d’Alban Berg.
Comme Frank Zappa, Bryce Dessner (né en 1976) est guitariste. Il représente lui aussi un courant lié au rock mais cherchant à s’écarter des aspects les plus commerciaux de l’industrie du divertissement. Dans les deux pièces programmées par Matthias Pintscher, le compositeur est à la guitare au côté de l’Ensemble intercontemporain. Ce sont les passages pour son instrument qui sont le plus convaincants : une sorte de cadence pour deux guitares électriques, avec sa consœur Christelle Séry, dans Raphael (2008), une figure où la musique repart de rien, juste un claquement répété dans l’extrême grave, dans Wires, donné en création. Quelques effets orchestraux, de belles phrases aux cuivres, mais dans l’ensemble l’orchestration est assez banale, voire ringarde (la ponctuation rythmique par les cordes graves). Surtout, la forme semble échapper à l’auteur dans ces pièces s’offrant en un mouvement unique mais qui au fond ne font que juxtaposer des séquences qui répètent les mêmes formules d’un minimalisme ne parvenant pas à évoluer. Une musique, finalement, bien trop sage et sans risque.
C’est tout le contraire de l’écriture merveilleusement virtuose d’Olga Neuwirth (née en 1968). Eleanor, œuvre créée l’an dernier à Salzbourg et que Matthias Pintscher donnait ici en création française, embrase pendant une demi-heure son effectif a priori hétérogène. Prenant appui sur des univers musicaux très identifiés – le blues de la chanteuse Della Miles, la batterie jazz de Tyshawn Sorey – elle les transforme peu à peu à travers le filtre de l’orchestre des sons électroniques et de la guitare électrique de Christelle Séry. Œuvre de combat, Eleanor met la musique en mouvement pour mieux porter les mots de Martin Luther King : ces textes lus sans affect, diffusés par les haut-parleurs, suspendent alors la musique avant de la faire couler de nouveau. Olga Neuwirth signe ici une œuvre engagée, audacieuse, en y mettant tout son art.
Jean-Guillaume Lebrun
Paris, Cité de la musique, 24 septembre 2016.
Concert disponible sur le site : live.philharmoniedeparis.fr
Photo Bryce Dessner © DR
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