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Casse-Noisette Compagnie par les Ballets de Monte Carlo – Songe pour une nuit d’hiver
« Je ne vais pourtant pas m’inventer une enfance malheureuse et battue, une vie sombre, des affections et une carrière ratée pour plaire aux amateurs d’artistes tragiques ». Jean-Christophe Maillot, encore sous les confettis qui ont inondé le Grimaldi Forum de Monaco à l’issue de son Casse-Noisette Compagnie, assume sa réussite, son bonheur de distiller quelques gouttes de joie et d’enchantement à un public qui s’en régale, sans pour autant négliger d’autres interrogations plus tendues, comme on l’avait vu dans Choré, l’an passé.
Voici, avec cette joyeuse remouture d’un Casse-Noisette de 1999, qu’il a adapté au moment présent, fait d’avancées positives et de célébration de ses vingt ans sur le Rocher, un salutaire coup de fraîcheur, de gaieté bon enfant, et de contagieuse vitalité, porté par une compagnie électrique, qui adore son directeur, formidable meneur d’hommes et chef d’équipe autant que maître inspiré.
Casse-Noisette Compagnie, c’est d’abord un énorme travail impliquant la totalité du ballet, car personne n’y est programmé en alternance, une scénographie piquante de Alain Lagarde, et des costumes pétillants signés de Philippe Guillotel, avec pour les étoiles de la troupe, des rôles longs et riches, qui les obligent à un engagement total. La chorégraphie, ici, ne cherche pas à inventer de nouvelles normes, elle utilise tout le trésor amassé par Maillot dans son parcours de danseur et d’homme de culture pour lui donner un coup de jeune qui rend parlante la moindre arabesque, vivant le moindre piqué. Et l’on n’oubliera pas le très lyrique et sensuel pas de deux final des amoureux, Clara et Charmant, achevant là un long parcours initiatique, (pas trop sérieux tout de même), précédé du plus long baiser de l’histoire du ballet-clin d’œil hollywoodien comme Maillot, fou de cinéma, aime à les battre.
On connaît l’histoire d’Hoffmann, métamorphosée par Dumas et prolongée par le fameux ballet d’Ivanov-Tchaïkovski, que chacun réinterprète à sa façon. Ici pas de rats, mais l’essentiel demeure, celui d’une adolescente et de ses rêves d’avenir. En 1991, la transposition de John Neumeier plaça Clara dans l’univers de Degas, et transforma Drosselmeyer en Petipa : une évocation chic et raffinée. Maillot, lui, propose un voyage autrement bigarré, et tourne avec son histoire les pages d’un album empli d’autres contes, d’autres ballets qui ont marqué son chemin. Une sorte de synthèse ouverte, qui ramène à Cendrillon, Roméo, La Belle au Bois Dormant (grand succès des Ballets de Monte Carlo, avec la Belle dans sa bulle). Un faisceau composite où les histoires et les mythes s’imbriquent avec chacun sa couleur stylistique spécifique, mais liés par une énergie bondissante qui est la frappe du ballet. On saute, on tourbillonne beaucoup dans ce Casse-noisette, on n’y pontifie pas, on n’y prend au sérieux que le poétique et le léger, c'est-à-dire l’essentiel : l’anti Noureev par excellence. Le tout dans un perpetuum mobile dont la vitalité ne faillit jamais : inoubliable par exemple, la superbe danse arabe, ou les galopades de Puck dans un invraisemblable engin motorisé en forme de corolle.
Car Puck il y a : quand on dispose d’un danseur aussi frétillant et virevoltant que Jeroen Verbruggen, autant savourer sa chance, d’autant que le jeune belge, hélas, envisage de se consacrer à la chorégraphie. Ici, lorsque le ballet se glisse dans les fantasmagories du Songe d’une nuit d’été, Maillot agite son danseur comme une marotte, et imagine pour son lutin de désopilantes facéties, après lui avoir fait endosser le costume d’un Casse-Noisette déchaîné, farceur et un rien nuisible. On admire d’autant plus qu’il n’est guère facile de mêler dans la danse classique grâce et comique, loufoquerie et lyrisme. Maillot y réussit avec une truculence proche de l’univers shakespearien : autour de l’héroïne, chaussée de lunettes, il y a des artisans patauds et ridicules, un carrosse scintillant, des elfes, et une fée - à la fois Titania et Drosselmeyer -, qui gère cette mêlée avec malice, dans un cocktail de verdeur et de sexualité bien dosées, car le spectacle s’adresse à tous les regards d’enfants, de 7 ans à…plus. Au cœur de l’aventure, un couple ravissant, celui formé par Stephan Bourgond et Anjara Ballesteros, laquelle se glisse dans de multiples transformations psychologiques et chorégraphiques avec une finesse délicieuse et une virtuosité sans apprêts. Mais en reine de l’aventure, comment oublier Bernice Coppieters, l’un de ces fées que Maillot affirme avoir rencontrées, de la princesse Caroline, qui lui confia les clefs de la place, à cette surprenante ballerine à la personnalité et la silhouette vampirisantes. Coppieters, dont le caractère androgyne coïncide idéalement avec le caractère délicatement ambigu de la chorégraphie, n’a pas besoin de baguette magique pour incarner la fée : son corps tout entier en est une, ondoyante et dure à la fois, que, telle Hedy Lamar, elle se promène en glamoureux lamé hollywoodien, ou que sous le maillot et les voiles de Titania, elle se mue en divinité sylvestre.
Certes Tchaïkovski n’a pas besoin qu’on lui réinjecte des vitamines, mais ainsi vécu avec cette foisonnante inventivité, on réalise une fois encore la richesse et l’originalité de cette partition, merveilleusement interprétée par le Philharmonique de Monte-Carlo, et un chef, Nicolas Brochot, en fusion avec les danseurs, ce qui est loin d’être le cas dans le quotidien du ballet. En plein épanouissement de ses moyens chorégraphiques et humains, Maillot a ici troussé un délicieux Songe pour une nuit d’hiver. Bravo l’artiste.
Jacqueline Thuilleux
Casse Noisette Compagnie (Tchaïkovski/J.C. Maillot) -Monte Carlo, Grimaldi Forum de Monaco, 5 janvier 2014 / www.balletsdemontecarlo.com
Photo © Hans Gerritsen
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