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Casse-noisette par le Ballet de l’Opéra de Kiev au Théâtre des Champs-Elysées – Suave pâte à tartiner – Compte-rendu
On ne peut qu’admirer la grâce, la beauté de la troupe ukrainienne, implantée dans la salle de l’Opéra de Kiev depuis 1867. Elle a épousé les évolutions du ballet académique et vu fleurir des talents d’exception, d’autant qu’une école de grande qualité y a consolidé une excellence que Tchaïkovski appréciait fort. On ne peut qu’admirer la fluidité des ports de bras, la largeur des développés à la seconde, la solidité des arabesques, la légèreté des sauts, la facilité que dégage la technique de l’ensemble de la troupe, menée par des étoiles de haut vol. Le tout avec une sorte de naturel dans les plus complexes performances.
En outre, comme il s’agit du délicieux Casse-Noisette, histoire dans laquelle un chorégraphe avisé peut trouver matière aux plus colorés de ses fantasmes et pour lequel Tchaïkovski, bien qu’agacé par le fade livret qui lui fut proposé par Petipa, lointain écho du troublant conte d’Hoffmann, composa l’une de ses musiques les plus raffinées et inventives, on peut espérer tomber sous le charme de ce conte de Noël chorégraphique où tous les rêves sont permis par la danse, langage de l’ineffable, et qui promène l’imaginaire aux frontières des mondes .
Que de réjouissances en perspective, et d’ailleurs le public ne s’en lasse pas, puisque le ballet fait partie des pièces de fête incontournables dans les salles mondiales, comme saumon, foie gras ou chapon sur nos tables de réveillon ! Depuis que Petipa en fit un classique en 1892, les plus grands chorégraphes s’y déchaînent, des folies circassiennes d’un Maillot au délicat royaume idéal des ballerines, où Neumeier promena l’héroïne. L’œuvre doit bouillonner de peurs, de joies, de mondanités excitées, de trépignements et de combats, tout en gardant le caractère floconneux du rêve. Elle doit faire rire, piquer ou toucher juste ce qu’il faut, enchanter de ses flocons et divertir de ses fantaisies exotiques.
© DR
D’où vient alors, qu’ici, la recette paraît bien fade ? Comme si le chorégraphe – le très admiré Valery Kovtun, figure du panthéon chorégraphique ukrainien jusqu’à sa mort en 2005 – n’avait sorti de son sac à malices qu’une succession de pas d’école, de sourires, de positions académiques, sans jamais donner de caractérisation aux personnages, qui vivent pourtant des aventures contrastées. Frantz n’est pas bien insupportable, les parents sont quasi absents, Drosselmayer ressemble à Casanova, bien dans son pourpoint, le Casse-Noisette est un gentil soldat incarné par une fille avant de se réveiller sous les traits d’un très officiel prince de pacotille. N’évoquons même pas la bataille des rats, digne de la maternelle, tandis que Clara ici se contente d’être ravissante, de battre des mains devant les décors kitchissimes qui se succèdent, et d’enlever fouettés et arabesques comme si elle tricotait. Parfaite, certes, mais si peu signifiante, comme son prince, le tout aussi parfait et transparent Stanislav Olshanskyi. Il suffit de voir apparaître la spectaculaire Anastasia Shevchenko dans la très conventionnelle danse orientale pour être convaincu que le charisme, ce n’est pas seulement la netteté d’un tracé et la justesse des enchaînements, et de se régaler de la trop brève apparition de Denys Turchak en poupée chinoise pour sortir de cet album de papier glacé, peut-être vidé de son charme d’origine depuis que Kovtun n’est plus là pour l’animer.
D’autant que la bande musicale, dont on ne sait qui l’a signée, enchaîne les glissades, les volutes et les sautes d’humeur de la musique de Tchaïkovski comme une moulinette où rien ne respire. Voilà un Confiturenbourg bien trop suave, et une coque vide pour cette noisette Krakatuk qui excita tant les imaginations enfantines durant deux siècles, depuis que Hoffmann, Dumas fils et ensuite tant de maîtres à danser tentèrent de lui extorquer sa magie.
Jacqueline Thuilleux
Tchaïkovski : Casse-Noisette (chor. Valery Kovtun) - Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 27 décembre 2018 ; prochaines représentations, les 30, 31 décembre 2018, 2, 3, 4, 5, 6 janvier 2019. www.theatrechampselysees.fr/la-saison/danse/casse-noisette
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