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« Chant de la destinée » par le Legend Lin dance Theatre - Indicible beauté - Compte-rendu
Ils sont passés sur Paris comme un phoenix le frôlant de son aile, le temps de deux trop courtes soirées, et nous ont laissés sur la lisière d’un infini qui donne le vertige. Qu’un public stressé, pressé, accroché à son zapping quotidien et à son portable greffé sur l’oreille, puisse ainsi se tenir suspendu au bord de son monde habituel, dans un silence lourd de sens, comme envoûté tandis que glissent et reglissent sur la scène des silhouettes irréelles et fantomatiques déroulant leur pas de façon imperceptible, voilà qui suggère la puissance de persuasion des oeuvres de madame Lee-Chen Lin, encore insuffisamment connue en France malgré des apparitions fascinantes à Lyon et Avignon.
Taïwanaise, Lee-Chen Lin, attachée depuis plus de trente ans à la survivance de sa culture, parvient avec ses douze danseurs et ses deux musiciennes à une fusion inouïe entre des rituels ancestraux, une esthétique de la lenteur et de la contraction inspirées des disciplines asiatiques et une approche contemporaine, notamment par la création de costumes aussi sobres que fantastiques, que ne rejetterait pas un Issey Miyaké, et de musiques contemporaines accessibles pour nos sensibilités tout en restant parfaitement typées.
Soit, l’occidental fruste que nous sommes ne comprendra guère cette joute subtile entre esprits, dieux et hommes, au cœur d’une nature menacée. Tout cela restant du domaine de l’onirique le plus total et sans la moindre lourdeur démonstrative. Mais ce qu’il perçoit va infiniment plus loin que ce message, en passant par des stades contradictoires, comme souvent avec l’art extrême-oriental : étonnement devant ce silence juste scandé par d’infimes appels de gong, de tambour et de flûte, outre une mélopée chamanique qui sait être lancinante sans être trop envahissante, puis émerveillement devant la gestique courbée et ténue de jeunes filles recueillies qui avancent comme sans toucher le sol, puis exaspération devant cette infinie attente, puis prise de conscience de ce que représente pour l’être intime pareille concentration, et enfin pénétration dans les strates d’un mode de pensée qui repousse les frontières de l’espace-temps. Tout en étant constamment ébloui par la perfection des gestes et de leur correspondance, sans laquelle tout serait vain.
Il y a des aigles, qui battent des ailes et des serres comme jamais sans doute on ne l’a vu, il y a des combats, axés sur le seul affrontement des regards et des volontés, et portés par une longue séquence de tambour, inéluctable comme une fatalité, il y a un duo auprès duquel les enlacements tentés ou réussis par les danses occidentales paraissent primaires, dans la sinuosité et la tension. Et l’on est peu à peu gagné par le vertige tandis que la lente avancée des silhouettes féminines, porteuses de lumières et de sistres, des guerriers ornés d’une immense plume, reprend immuablement, comme si les étreintes d’Eros-Thanatos n’étaient qu’anecdote dans un vaste dessein. Lorsque le tambour s’arrête de battre et que reprend la lente scansion du gong, on ressent combien la pulsion rythmique violente et cette ineffable lenteur ne sont que les volets d’un même infini. Son chargé de silence, mouvement immobile. En sortant, la Tour Eiffel n’était plus la même…
Jacqueline Thuilleux
Paris, Théâtre national de Chaillot, les 17 et 18 novembre 2011
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Photo : DR
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