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Clôture du Printemps des Orgues 2013 - L'Espagne à Angers - Compte-rendu

Entre septembre et juin, avec en mai ce temps fort qu'est le Grand Prix d'Orgue Jean-Louis Florentz–Académie des Beaux-Arts, Le Printemps des Orgues d'Angers offre une saison éclectique destinée à faire connaître le patrimoine instrumental de la région, mission première de la CSPO (Association pour la connaissance, la sauvegarde et la promotion des orgues du Maine-et-Loire), notamment lors des Journées européennes du Patrimoine, tout en proposant au public angevin et au-delà une programmation variée. Ainsi la saison 2012-2013 a-t-elle permis d'entendre les Pages & les Chantres du Centre de Musique Baroque de Versailles (Charpentier), un vaste programme Bach (Passion) par l'Ensemble Akadêmia de Françoise Lasserre (elle-même ensuite en résidence au CRD du Choletais, avec deux autres concerts Bach à Cholet et Saumur), ou encore une approche de l'œuvre vocale et pour orgue de Louis Vierne par Henri-Franck Beaupérin, organiste titulaire de la cathédrale d'Angers, à Segré.

Le concert de clôture de la 21ème édition, le 18 juin, était de nouveau placé sous le signe de l'Espagne – la saison précédente avait accueilli Olivier Vernet et Cédric Meckler dans un programme hispanisant à quatre mains, au grand orgue de la cathédrale Saint-Maurice : Pasión, dans le sillage de leur CD haut en couleur gravé à l'orgue Stahlhuth-Jann de Dudelange (Luxembourg), suivi au Grand Théâtre d'Angers d'un programme de ballet flamenco de la Compagnie Antonio Gadès. Même répartition en 2013 entre ces deux lieux clés de la vie musicale angevine, avec de nouveau la Compagnie Antonio Gadès.

La première partie de soirée fut l'occasion d'une rencontre singulière : celle de l'orgue et de la guitare. Rencontre aussi de deux protagonistes qui n'avaient jamais encore collaboré : Thierry Escaich, président d'honneur du Printemps des Orgues – élu le 6 mars à l'Académie des Beaux-Arts (section de Composition musicale) au fauteuil de Jacques Taddei, cependant que Gilbert Amy l'était à celui de Serge Nigg – et Emmanuel Rossfelder, disciple d'Alexandre Lagoya et, comme son collègue organiste, lauréat des Victoires de la Musique classique en 2004 (Thierry Escaich, en tant que compositeur de l'année, en 2003, 2006 et 2011 !). Pour faire dialoguer orgue et guitare dans un espace aussi vaste, il fallait naturellement amplifier l'instrument à cordes, en de multiples endroits de la nef. Instrument perçu comme intimiste, la guitare prit à Angers des proportions en définitive parfaitement à même de répondre à l'orgue, pour une présence encore plus surexposée qu'au disque, sorte de premier plan d'autant plus à risque qu'il est alors en temps réel.

On imagine l'envergure du défi pour l'instrumentiste. Les deux musiciens avaient d'abord assuré en début d'après-midi un petit concert-éveil, joliment commenté par Emmanuel Rossfelder, à destination des scolaires, avec quelques pages du programme du soir, Thierry Escaich improvisant également sur la Panthère rose – dans le style de Bach (fugue devenant fantaisie mozartienne), de Beethoven… et de Thierry Escaich improvisateur sur films muets – genre dans lequel il excelle. En soirée, un programme aussi grand public (dans une nef comble) que de qualité permit d'entendre les instruments seuls et réunis, le guitariste, plein d'humour et de spontanéité, continuant de présenter les œuvres : Passacaille pour guitare du luthiste Sylvius Leopold Weiss (1687-1750), contemporain de Bach, avec réponse improvisée à l'orgue ; Sarabande de la Suite en ré mineur HWV 437 de Haendel (Barry Lyndon de Stanley Kubrick !) aux cordes seules ; puis Asturias (Leyenda) de la Suite espagnole n°1 d'Isaac Albéniz, assurément la page la plus risquée sur le plan de la synchronisation, compte tenu d'un temps de projection dans l'espace de nature profondément différente pour l'un et l'autre instruments.

Escaich seul répondit, et de manière très personnelle, à la Passacaille initiale par celle de Bach (BWV 582) : rapide, trop sans doute, ne serait-ce que pour articuler réellement le thème et permettre de goûter le génie de la variation de Bach, chaque nouvelle variation semblant gommer de façon précipitée la précédente, presque avec désinvolture, le tempo emporté ne révélant sa véritable nature, fiévreuse, qu'une fois parvenu à la pleine tension de l'immense fugue terminale. Un Bach orchestral, dans la lignée d'un Stokowski, avec panache et puissance. Le grand moment de la guitare seule fut La gran jota [de Concierto] de Francisco Tarrega (1852-1909), équivalent pour l'instrument de ce que l'ultime Caprice de Paganini est au violon : un condensé de toutes les difficultés, mais aussi des saveurs et des rythmes d'Espagne. Escaich y répondit par une improvisation plus espagnole que nature, revisitée à sa manière. Espagne toujours avec le mouvement central du Concierto de Aranjuez de Joaquín Rodrigo, l'orgue n'ayant aucune difficulté à se substituer à l'orchestre : superbe climat, bénéficiant de la qualité du lieu et de son élévation. Et pour finir, l'œuvre qui, quand plus rien ne va, redonne joie et désir de vivre, porteuse de tout le drame de la vie humaine sur son rythme obstiné et d'une réserve infinie d'énergie : l'irrésistible Fandango refermant le Quintette n°4 pour cordes et guitare (1798) de Boccherini. Succès public certes garanti mais d'excellent aloi.

Quelques centaines de mètres à peine séparaient le public de la seconde partie de soirée, avec comme fil rouge et transition l'envoûtante omniprésence de la guitare amplifiée. Deux ballets d'inspiration flamenca de la Compagnie Antonio Gadès étaient à l'affiche au Grand Théâtre. Tout d'abord Noces de sang, d'après Lorca, au croisement du ballet classique, contemporain et populaire (la noce proprement dite), l'ensemble extrêmement stylisé et d'une puissante économie de moyens. Jusqu'à cette évocation de la poursuite à cheval des amants, sans musique et au ralenti – de même l'affrontement des rivaux, prodige de décomposition gestuelle quasi irréelle de lenteur, pour une très saisissante démultiplication des mouvements : un film muet dont le commentaire musical serait passé de l'orgue à la guitare. À une véhémence et une dramaturgie intensément contenues répondait l'étonnante gravité des visages, empreints de l'impassibilité du destin et du drame, jusqu'au dernier salut.

Le second ballet était d'une toute autre teneur, quand bien même la gravité espagnole et l'implacable rigueur du rythme continuaient de sous-tendre et de fédérer la troupe, d'une formidable discipline : cette Suite flamenca fit musicalement et rythmiquement l'effet d'une suite pour deux voix (cante jondo), deux guitares et les talons virtuoses d'une troupe enflammée, musiciens et danseurs évoluant en une parfaite symbiose scénique. S'enchaînèrent alors différents tableaux magnifiquement rythmés par des durées extrêmement variables et la vivacité des transitions, sur fond d'honneur inflexible, de drame de l'amour, à la vie à la mort. Avec d'emblée une sorte de mise en concurrence des danseurs, chacun surpassant l'autre par sa superbe et sa maestria, démonstration de puissance et défoulement individuel – à tour de rôle et sous le regard de tous, image démultipliée de la puissance du groupe. Magnifique, devant un public qui mit un peu de temps à se chauffer, jusqu'à l'ébullition finale.

Qui dit clôture de saison dit aussi saison prochaine : la 22ème édition coïncidera avec le 10ème anniversaire de la disparition de Jean-Louis-Florentz (1947-2004), dont le Concours d'Orgue d'Angers – Académie des Beaux-Arts porte le nom. Un concert-hommage d'Olivier Latry, en la cathédrale d'Angers le 16 mai 2014, précédera les épreuves du concours, cependant que le concert de clôture, le 3 juillet, accueillera de nouveau Olivier Vernet et Cédric Meckler à l'orgue, mais aussi Isabelle et Florence Lafitte au piano : huit mains pour des arrangements d'époque, savamment redistribués sur les différents claviers, des deux Concertos pour piano de Johannes Brahms.

Michel Roubinet

Angers, cathédrale Saint-Maurice et Grand Théâtre, 18 juin 2013

Sites Internet :

Le Printemps des Orgues d'Angers
http://www.printempsdesorgues.fr/?q=node/2

Thierry Escaich
http://www.escaich.org/

Emmanuel Rossfelder
http://www.emmanuelrossfelder.fr/crbst_14_fr.html

Compagnie Antonio Gadès
http://antoniogades.valprod.fr/compagnie/compagnie-antonio-gades/

Académie des Beaux-Arts, Institut de France / section de Composition musicale
http://www.academie-des-beaux-arts.fr/membres/actuel/Musique/index.html

Association Jean-Louis Florentz
http://www.jeanlouisflorentz.com/fr/accueil,2.html

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Photo : DR
 

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