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Compte-rendu : Allemagne / Pointes d’or - Les Journées du Ballet à Hambourg
Il se passe de grandes choses à Hambourg, dont le passé chorégraphique n’était guère majeur. Jusqu’à ce que John Neumeier vienne en 1973 lui inventer un répertoire, lui allumer une curiosité, et lui donner une aura mondiale. Comme Béjart fit un temps de Bruxelles la capitale du ballet néo-classique avant d’aller s’éteindre dans le Léman, Neumeier a donné à Hambourg le frisson sacré, mais contrairement à l’homme du Boléro, il en a aussi fait une citadelle: avec son Ecole, sa Fondation, et un répertoire énorme qu’il remet sur l’établi chaque année dans ce fameux Mois de la danse, où tout se mêle: œuvres anciennes du chorégraphe, ou dernières créations.
Chacune, sous l’œil du maître, y retrouve une jeunesse ou y affine sa maturité. Toute la gamme de cette œuvre considérable, car Neumeier est aujourd’hui le seul grand chorégraphe néoclassique sur la planète, s’y déroule, de la veine romantique la plus effrénée, avec l’inusable Illusions, sur le Lac des Cygnes, après lequel on ne plus guère voir une autre version, le délicieux Daphnis et Chloé, œuvre de jeunesse où des frissons d’adolescence naissent de la contemplation de vestiges grecs, ou la délicatesse pointilliste du Monde flottant, autre rêve d’épure de Neumeier, écrit pour le ballet de Tokyo et présenté ici avec la troupe hambourgeoise.
Horizons infinis, qui disent l’immense pouvoir d’attraction et de persuasion du ballet d’essence classique, lorsqu’il s’enrichit d’une profondeur psychologique et intellectuelle aussi immense que celle du maître de Hambourg. Et que dire de son Pavillon d’Armide, créé l’an passé en hommage aux Ballets Russes, sinon qu’il est le plus intuitif, le plus ciselé et le plus douloureux des retours sur un passé qui est celui de Nijinsky, mais un peu aussi le notre. L’homme est seul, malgré la tendresse de ceux qui l’entourent et ne le comprennent pas, au fond de sa case d’enfermement, mais il se souvient, et les ombres exquises du passé le traversent, gambadent dans son cerveau.
Défilent de poétiques silhouettes enrubannées, enturbannées, tarlatanées, celles de Nijinski lui-même dans ses grands rôles, d’évanescentes ballerines, Pavlova surtout en Armide, qu’incarne de façon historique Joëlle Boulogne, liane translucide. Puis Nijinsky reste face à son dernier rêve, face à lui–même, non plus interprète, mais créateur pour le Sacre du printemps. L’inoffensive musique écrite par Tcherepnine pour Armide s’éteint, avec ses grâces désuètes. Les premières mesures du Sacre retentissent. Le monde se transforme. Quoi d’étonnant ensuite à ce que le programme se poursuive sur le Sacre de Nijinsky lui-même, ou du moins tel que Millicent Hodson en a patiemment recollé les morceaux.
Un tour de force que ces journées décidément, car la troupe changeant presque quotidiennement de spectacle, y donne le meilleur d’elle-même, permettant à des individualités d’émerger, ainsi celle du jeune Thiago Bordin, récemment couronné à Moscou par la plus prestigieuse distinction chorégraphique, le Benois de la danse : dans Illusionen, il incarne ainsi un Louis II tout à fait différent de ses devanciers hautains et puissants, et notamment l’inouï Otto Bubenicek. Enfant perdu, floué par la vie, il étonne, déconcerte avant de bouleverser dans le dernier acte. Un moment très dur par son extrême beauté. En fait, dans chaque œuvre, la troupe, vouée à la pensée du maître des lieux, émerveille par la qualité de sa technique, l’intelligence avec laquelle elle traduit les moindres inflexions d’un vouloir chorégraphique extrêmement subtil, et la richesse de ses styles, car ces jeunes gens viennent de partout.
Il faut enfin rappeler que deux joyaux de la compagnie, l’immatérielle Joëlle Boulogne et la poignante Hélène Bouchet, sont toutes deux françaises. Et hasard qui n’est pas neutre, toutes deux originaires de Cannes, formées à l’Ecole de Rosella Hightower, où l’on cultive une denrée qui manque tant à Paris, le langage des bras. Leur art est une signature, qui s’inscrit sur l’album d’or du ballet hambourgeois.
Jacqueline Thuilleux
Hamburger Ballett-Tage, Opéra de Hambourg, du 13 au 27 juillet 2010. Spectacles des 17, 18, 19 et 20 juin 2010.
Infos : www.staatsoper-hamburg.de
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Photo : DR
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