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Compte-rendu - Berlioz au ras des pâquerettes
Mettre des images sur de la musique a toujours été plus difficile que l'exercice inverse. En attestent les plus belles créations de musique de film ! S'il donne parfois l'impression d'avoir inventé le « cinémascope », Berlioz n'en a pas moins toujours entretenu un rapport délicat avec la mise en images. De Roméo et Juliette à La Damnation de Faust, il a souvent privilégié l'aspect symphonique dans ses oeuvres. Pour ne pas parler des Troyens qui ont dû faire antichambre plus d'un siècle avant d'être créés selon le voeu de notre Hector national ! Au tout début de sa carrière, on constate la même ambiguïté avec le diptyque de jeunesse que constituent la Symphonie Fantastique et Lélio, ou le retour à la vie, un « monodrame » romantique où un acteur soudain se joint à la masse orchestrale et chorale.
Le Théâtre Auditorium de Poitiers (TAP) a décidé de proposer une vision scénique de cet ensemble de cent minutes, qualifiée de « création mondiale ». Philippe Herreweghe et son Orchestre des Champs-Elysées, basé dans la Région Poitou-Charentes, se sont pour la circonstance alliés aux deux directeurs de l'Opéra français de New York, Jean-Philippe Clarac et Olivier Deloeuil, ainsi qu'au vidéaste François-Xavier Vives. Le public venu nombreux s'attendait tout comme nous à ce que, selon les indications du compositeur, le théâtre ne s'installe qu'en seconde partie avec le monodrame. C'est malheureusement durant la première qu'il fut le plus présent, et donc le plus dérangeant pour l'écoute de ce chef-d'oeuvre absolu qu'est la Fantastique, la bien nommée.
S'il est judicieux d'introduire d'emblée le héros – le compositeur poète en mal d'amour – en le plaçant dans un fauteuil côté jardin, en train de prendre, non de l'opium, mais un stupéfiant plus actuel, il aurait fallu en rester là et l'abandonner à son délirant sommeil comme le recommande d'ailleurs Berlioz. Ainsi la magie des harmonies voluptueuses eût pu faire planer l'assistance... Tant de discrétion était trop demander aux théâtreux de service ! A force de chercher la femme, ils en ont trouvé cinq – autant qu'il y a de parties dans la Fantastique - des blondes platinées, entre poupée Barbie et Marylin, habillées de rouge carmin, se transformant en bacchantes durant Le songe d'une nuit de Sabbat ...Quelle originalité ! L'esprit critique se demandait ce qu'ils allaient bien pouvoir inventer dans Lélio ...Rien de plus.
Si j'ajoute que trois écrans géants diffusaient sur le fond de scène des vues aussi essentielles qu'imprenables sur le maquillage de ces dames, vous comprendrez qu'il ne restait guère de place au malheureux Herreweghe condamné à jouer les (f)utilités sonores avec ses musiciens d'époque. Par un fâcheux effet d'applatissement, la Fantastique s'est muée en bande-son pour élucubrations d'amateurs en veine de scandale... Bref, ce soir-là le chef n'arriva pas à la cheville de son rival berliozien Gardiner. Il se rattrapa, il est vrai, dans Lélio. Mais là, c'est le théâtre qui descendit aux abimes en la personne de l'acteur argentin Marcial Di Fonzo Bo, dont la présence ne s'explique que par la tournée en Amérique Latine qui a suivi l'unique représentation poitevine...
Jacques Doucelin
TAP de Poitiers, 14 avril 2009
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Photo : DR
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