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Compte-rendu - Création du Livre des illusions de Bruno Mantovani - La musique, côté cuisine
Les trentenaires n'hésitent plus désormais à écrire pour le grand orchestre symphonique et c'est tant mieux. Ce ne sont pas Betsy Jolas et Henri Dutilleux qui assistaient à la création mondiale de la dernière oeuvre de leur cadet Bruno Mantovani, qui diront le contraire. Dans le cadre du Festival Agora de l'Ircam, l'Orchestre de Paris dirigé par l'excellent jeune chef français Jean Deroyer a donc créé jeudi salle Pleyel Le Livre des illusions, une demi-heure de musique inspirée par une dégustation gourmande effectuée en 2007 par notre compositeur gourmet dans le restaurant parisien du cuisinier catalan Ferran Adrià.
C'est pourquoi il a tenu à faire précéder l'audition de sa nouvelle pièce d'une introduction sous forme de duo entre Ferran Adrià et lui. Cette irruption dans l'arrière-cuisine du compositeur, aux sources du mystère même de la création musicale, avait de quoi faire saliver... Pourtant, nous sommes restés sur notre faim, tant les techniques d'élaboration de la cuisine – aussi sophistiquées soient-elles - sont totalement irréductibles au processus de création musicale. Car ce mémorable menu, des Olives sphériques au Papier effervescent au cassis, ne fait pas ici l'objet d'un hommage imitatif sous forme de traduction sonore littérale comme peuvent l'être les bestiaires de Poulenc, de Prokofiev ou de Saint-Saëns.
Les papilles ne jouent finalement qu'un rôle de déclencheur de l'élan créateur, comme tel tableau de Van Gogh ou tel poème de Baudelaire ont stimulé l'imaginaire d'Henri Dutilleux pour provoquer ses plus hauts chefs-d'oeuvre, de Tout un monde lontain à Timbres, espace, mouvement. Par miracle, le souvenir des saveurs exquises de la table espagnole a lui aussi déclenché une pièce foisonnante, explosive, riche de timbres et de rythmes, passionnante par le subtil contrepoint entre les sons instrumentaux naturels et leur projection grâce à la technique et à l'ingénieur de l'Ircam David Poissonnier. Sans vouloir désobliger personne, l'oreille, même la plus exercée, est impuissante à retrouver la moindre trace culinaire dans cette magie sonore. Comme quoi, il n'est pas nécessaire de tout expliquer et d'introduire le public dans l'arrière-cuisine de la musique...
Avant l'entracte, l'Orchestre de Paris avait mis tout son coeur à jouer Formazioni de Luciano Berio, assez proche dans son opulence de la création de Bruno Mantovani, et les Cinq Pièces pour orchestre de Webern pour lesquelles, Jean Deroyer ne parvient pas encore à l'art de la pointe sèche de son maître Pierre Boulez, décidément insurpassable dans ce répertoire.
Jacques Doucelin
Paris, salle Pleyel, 11 juin 2009
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Photo : DR
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