Plus que tout autre, Gennady Rozhdestvensky qui a traversé tout un pan de l’histoire de la Russie au XXe siècle peut être considéré comme l’un des témoins majeurs de cette époque troublée. Dans le cadre du cycle « Lénine, Staline et la musique » et de l’exposition organisée par la Cité de la musique, le concert Prokofiev avec l’orchestre de la Deutsche Radio Philharmonie Saarbrücken-Kaiserslautern ne pouvait trouver meilleur ambassadeur. Le programme présenté non sans humour par le chef russe, comme la courte projection du film Notes interdites de Bruno Monsaingeon, donne d’emblée le ton en faisant pénétrer dans les arcanes de l’âme russe et des contradictions du régime soviétique.

La complexité de la Symphonie n°2 de Prokofiev (en particulier l’Allegro initial au martèlement digne des Fonderies d’acier) que Rozhdestvensky considère avec la Cinquième Symphonie comme la meilleure du compositeur, est implacablement maîtrisée. L’ironie, le sarcasme le disputent à la puissance visionnaire. La clarté de la texture, la lisibilité de chaque plan prévalent dans un accompagnement de rêve du Concerto n°2 pour violon (1935). L’exécution fine mais réservée de Sasha Rozhdestvensky se situe toutefois très en retrait par rapport à la luminosité de la direction de son père (qui adopte des tempos plutôt lents).

On savoure après l’entracte la vivacité, l’allégresse, le mordant d’une lecture aux arêtes vives de la Suite du Pas d’acier, ballet créé en 1927 à Paris au Théâtre Sarah Bernhardt. Les timbres acides, la rythmique implacable et la splendeur instrumentale atteignent une alchimie que l’on n’attendait pas d’une phalange germanique, mais que ce sorcier de Rozhdestvensky a réussi à transmettre. Prokofiev tel qu’en lui-même !

Michel Le Naour

Paris, Cité de la musique, 13 octobre 2010

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Photo : D. R.