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Compte-rendu : Jonas Kaufmann chante Die Schöne Müllerin - L’ensorceleur
Pour des questions de crédibilité, Jonas Kaufmann ne souhaitait pas aborder Die Schöne Müllerin au-delà de la quarantaine. C'est donc chose faite, le ténor allemand ayant d'abord gravé le cycle schubertien en public à Munich le 30 juillet 2009 (Decca), avant d'entreprendre une grande tournée qui passait par Paris et le mènera à Londres à la fin du mois. Devant une salle pleine à craquer, attentive autant que réceptive, Jonas Kaufmann a raconté avec une rare intensité, mais sans aucune posture, humblement et sincèrement, les tristes amours du jeune meunier.
Par-delà la beauté intrinsèque du timbre, au métal riche et profond, de la pâte vocale et des couleurs qui la parent, un art inné de la description touche immédiatement. Dès les premières notes fougueuses et limpides, nous sommes aux côtés de cet homme qui rêve de voyager et que tout dans la nature comble. Suivant le cours d'un ruisselet, le voici transporté par l'amour qu'il porte à une jeune meunière. Kaufmann n'a pas son pareil pour dialoguer avec l'onde( "Ei, Bächlein, liebes Bächlein") et lui confier les atermoiements de son coeur. Véritable miroir d’une âme, le ruisseau exalté d'abord, va s'assombrir et refléter bientôt la déception du meunier, éconduit par la belle. L'incrédule garçon qui déborde d'ardeur et crie "Mein" (Mienne), se retrouve dévasté, l'indifférente créature lui préférant un chasseur de passage ; l’interprète mouille alors son chant de larmes jusqu'à l'étranglement, pour mieux exprimer les noirs pressentiments qui envahissent tout à coup son esprit ("Grabt mir eine Grab im Wasen" ; Creusez-moi une tombe dans le vallon).
Dépeignant la joie et la souffrance avec d'infinies nuances vocales Kaufmann, qui dispose en la personne d'Helmut Deutsch, d'un double musical parfait, tient son auditoire en haleine, l'étreignant par la force évocatrice et hypnotique d’un chant conduit tel un archet sur la corde. Sur un fil de voix, le ruisseau se propose d'accueillir finalement le voyageur fatigué, qui n'a plus qu'à s'allonger en attendant le repos – éternel ? - ; "Des Baches Wiegenlied".
Triomphe, suivi de quatre bis schubertiens dont une pétillante "Forelle" et un turgescent "Musensohn" puis, comme un signe avant-coureur, par un extrait du Winterreise, autre voyage pour lequel nous prenons déjà notre ticket.
François Lesueur
Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 14 octobre 2010
Photo : D. R.
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