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Compte-rendu : La Bayadère au Palais Garnier - L’Orient en chaussons à pointe
En 1877, à Saint-Pétersbourg, Petipa n’avait pas encore Tchaïkovski pour acolyte, et malgré ses spectaculaires qualités, sa Bayadère s’en ressent lourdement. Le ballet n’en fut pas moins une énorme réussite, les amateurs de danse de l’époque n’étant peut-être pas encore convaincus de la nécessité d’une grande musique pour soutenir des évolutions virtuoses. Le charme exotique de l’histoire, la mise en scène somptueuse, et le génie chorégraphique de Petipa firent de la Bayadère un des piliers du répertoire russe. Le ballet resta cependant dans son monde du Kirov jusqu’au choc Noureev en 1961, date à laquelle l’Opéra de Paris reçut la compagnie pétersbourgeoise. L’Occident le découvrait, et lui-même devait rester attaché à cette œuvre qu’il remonta enfin en 1992, au prix d’un effort surhumain : il était aux portes de la mort et ce testament fut un dernier acte d’amour à ses origines.
Le ballet est depuis demeuré l’une des pièces maîtresses de l’Opéra et chaque reprise y fait toujours salle comble. Et pourtant, que de ridicules provoqués par la musique de Minkus, lorsque les farouches Kshatriyas gambadent sur des galops qu’on croirait faits pour une démonstration de l’Ecole des Lipizans viennois, et que les délicieuses bayadères tressautent sur des polkas sorties du Prater. De fort belles pages, heureusement, donnent à penser que Minkus n’était pas dépourvu de sensibilité et de goût, à commencer par le très fameux Tableau des Ombres au 3e acte, devenu l’une des références du ballet blanc. Pour le reste, il ne faut pas bouder son plaisir, car cette Bayadère, si elle souffre d’une partition mineure, bénéficie ici d’une mise en scène et en couleurs absolument somptueuse d’Ezio Frigerio et Franca Squarciapino, où le brillant du lamé, le scintillement des ors, le miroitement des couleurs vives ou pastels créent une symphonie plus proche des miniatures indiennes que des falbalas clinquants du ballet de genre traditionnel. Tout y est manié avec une palette qui est la quintessence du goût.
Quant à la chorégraphie reconstituée par Noureev, et bien évidemment complétée par lui, elle porte la marque de l’équilibre souverain du travail de Petipa, et celle plus contournée, parcourue de mouvements inversés et bizarres, de Noureev, qui semblait toujours prendre un malin plaisir à semer les embûches. Les danseurs de l’opéra y rutilent, quelles que soient les nombreuses distributions. Sans parvenir à égaler le trio royal de la première historique, Guérin-Platel-Hilaire, les vedettes d’aujourd’hui, Letestu, Dupont, Le Riche, Gilbert ou Bélingard, et beaucoup d’autres, ajoutent leur éclat et leurs techniques très sûres à celui des tableaux colorés - on est particulièrement impressionné par la prestance d’Alessio Carbone en Idole dorée -, et le corps de ballet, gâté par ces chorégraphies à variations, fait valoir quelques uns de ses plus beaux éléments, à commencer par la ravissante Charline Giezendanner, dans la danse Manou, à l’éclat et au charme irrésistibles.
Les spectateurs en redemandent et se quittent « fort content les uns des autres », comme il est dit dans les Mille et une Nuits. Mais une nouvelle fois, quel dommage que Minkus ne soit pas Tchaïkovski et que Noureev, faute de santé et de finances, n’ait pu mener son œuvre jusqu’au bout, car il manque l’ultime tableau, où le temple doit s’écrouler. L’enchantement serait presque total.
Jacqueline Thuilleux
Minkus/Noureev : La Bayadère – Paris, Palais Garnier, le 18 mai, puis jusqu’au 2 juin 2010
Palais Garnier. Représentation du 18 mai 2010. Spectacle jusqu’au 2 juin
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Photo : Opéra de Paris / Sébastien Mathé
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