Même la Symphonie « Cévenole », pourtant chère ô combien ! à nombre de pianistes et chefs jadis, a disparu des programmes… L’oubli et, si souvent, le mépris dont souffre de nos jours l’oeuvre de Vincent d’Indy (1851-1931) sont proportionnels à la place qu’occupa le fondateur de la Schola Cantorum dans la vie musicale de son temps. Facile aujourd’hui pour ceux qui se livrent à ce jeu de dénoncer certains travers de l’homme d’Indy et de jeter par la même occasion aux orties l’ensemble de sa production, mais l’artiste ne fait pas moins partie du patrimoine musical d’une époque qui se réduit pas à Franck, Fauré, Debussy et Ravel.

Debussy justement. En 1903, il fit le déplacement, à Bruxelles en janvier(1), puis à Paris en décembre, pour écouter L’Etranger. Sans celer les réserves qu’il lui inspirait, Monsieur Croche ne manqua pas de saluer « l’inoubliable beauté de tant de pages » du nouvel opéra de d’Indy. L’auteur de Pelléas et Mélisande n’appartenait pas à la catégorie des shivas de la brosse à reluire lorsqu’il prenait sa plume de critique et ses « impressions sincères et loyalement ressenties » (Gil Blas, 12/01/1903) avaient de quoi mettre l’eau à la bouche de tous ceux qui souhaitaient découvrir un opéra absent des scènes françaises depuis sa dernière apparition au Palais Garnier en 1952.

Ils savent gré au Festival de Radio France et de Montpellier et à René Koering de les avoir satisfaits en présentant l’ouvrage dans une version de concert de grande tenue. Allez, avouons-le, nous ressentions quelques doutes à la fin de l’Acte I car, si ce premier volet comporte de beaux moments, pris dans son ensemble il laisse – malgré l’engagement d’excellents interprètes dans le cas présent – sur… l’évidence : un compositeur peinant quelque peu à prendre possession d’un argument pour le moins dépourvu d’action – quant au livret D’Indy eût mieux fait d’en laisser la rédaction à un autre...

C’est d’abord là qu’il faut chercher les raisons de l’oubli de L’Etranger car si, d’un bout à l’autre, l’on avait affaire à une musique aussi dense que celle de l’Acte II le sort que la postérité lui réserve serait sûrement différent. Dès le magnifique Prélude de la seconde partie, l’orchestre manifeste une force agissante qui démontre que la leçon de Parsifal a été à l’évidence méditée. La musique engendre le théâtre et le sous-titre « action musicale en deux actes » prend tout son sens ; on oublie les faiblesses du livret pour goûter sans réserve à une musique dédaigneuse des séductions faciles, portée par une noble énergie avec laquelle tous les interprètes réunis au Corum font corps.

A la tête d’un Orchestre National de Montpellier en très belle forme, Lawrence Foster libère le souffle de la partition (la tempête a une sacrée allure !) avec autant que tact qu’il soigne ses moments les plus dépouillés et recueillis.
Les deux principaux personnages lui facilitent il est vrai le travail. Totalement investi dans la résurrection de L’Etranger, Ludovic Tézier fait face aux exigences d’un rôle-titre éprouvant. Sans doute aurait-il dû noircir plus son personnage dès l’Acte I, mais il se fait bouleversant au II, en particulier lors de la Scène 2 face à la Vita tout simplement parfaite de Cassandre Berthon La soprano possède le physique et les moyens du rôle - on n’est pas près d’oublier son formidable « Ô Mer »… Diction soignée mais émission trop nasale, le Vincent de Marius Brenciu déçoit, à la différence de la mezzo Nona Javakhidze, idéale dans le court rôle de la mère de Vita. De bons comprimari (mention spéciale pour la basse Pietro Palazy !), le Chœur de Radio France et le Chœur d’Enfants Opera Junior bien préparés (respectivement par Franck Markowitsch et Valérie Sainte Agathe-Tiphaine) achèvent de faire de la soirée l’un des temps forts du Festival de Montpellier 2010.

Bonne nouvelle, cette résurrection, aussi fervente que justifiée, de L’Etranger sera disponible en CD l’année prochaine. A quand un Fervaal au Festival de Montpellier ?

Alain Cochard

(1) La création de L’Etranger a eu lieu le 7 janvier 1903 à La Monnaie de Bruxelles, sous la baguette de Sylvain Dupuis.

D’Indy : L’Etranger (version de concert) – Montpellier, Le Corum, le 26 juillet 2010

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Photo : DR