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Compte-rendu : L’Opera Seria en question - Florian Gassmann au Printemps des Arts de Nantes

Mais qu’est-ce qui fait donc courir Benoît Bénichou dans la production de cet Opera seria composé en 1769 par Florian Leopold Gassmann, musicien autrichien né en Bohême et qui, contre la volonté de son père, alla étudier très jeune en Italie, peut-être auprès du Padre Martini, avant de se fixer à Vienne en 1763 ? Avant tout, le mélange des genres entre les schémas contournés du genre seria et les pirouettes du stile buffa : un métissage dont ne se priveront pas les plus grands en cette fin de XVIIIe siècle. A commencer par Mozart et son Don Giovanni, tout ensemble « Dramma » et « giocoso », c’est-à-dire masquant la tragédie sous le rire de la burla.

Certes, l’Opera Seria gassmannien n’est pas l’Opéra des Opéras. Reste que le livret de Calzabigi – inspiré d’un pamphlet du Vénitien Benedetto Marcello - y offre toutes les ressources de la satire, attentif à souligner les travers et défauts d’un genre considéré dès cette époque comme obsolète et ne fonctionnant, si j’ose dire, que par la grâce de la vitesse acquise.
Obnubilé de plus par une urgence qui, sans doute, est au cœur de la partition, Bénichou illustre donc la musique au premier degré, multipliant les gags visuels qui dénoncent pêle-mêle le formalisme des livrets trop précieux, la ladrerie des impresarii et, bien sûr, l’ego surdimensionné des chanteurs et danseurs. Bref, un opéra baroque est en train de naître sous nos yeux, mêlant le dramatique à la farce, le savoureux au dérisoire et où l’intrigue importe moins que la mécanique du théâtre dans le théâtre.

Je mentirais en disant que le spectateur reste imperméable à cette production bigarrée et très perfectible - montée à l'initiative de l'association New European Opera -, mais souvent d’une surprenante actualité dans ses effets. Porté par une ardeur de militant, Benoît Bénichou a seulement tendance à en faire trop, proposant le remède avec la caricature. En d’autres termes, la boursouflure affleure trop souvent, gâtant alors le bonheur visuel de la reconstitution (à cet égard, l’on remarquera que Gassmann n’est jamais très loin des exigences des classiques viennois, Haydn et Mozart en particulier, non plus que de Gluck à qui il succéda comme compositeur de ballets à la cour des Habsbourg). Pour autant, vertu majeure, la musique vit et palpite par la grâce d’une interprétation toujours motivée, l’Ensemble instrumental Europa Barocca (né en fait sur les bords de la Loire) y mariant le juste ton au juste son, face à un plateau vocal largement international. Avec, en figures de proue, l’imparable Stonatrilla de notre compatriote et soprano Chantal Santon, les trouvailles buffa du contre-ténor brésilien Rodrigo Ferreira dans le rôle de Ritornello, le baryton portugais Diego Oliveira, impresario très crédible, et surtout le réjouissant charisme du jeune chef Raphaël Pichon (photo) qui, en fait, réussit là une réhabilitation du genre seria à ranger parmi les moments majeurs de ce Printemps des Arts 2010.

Roger Tellart

Gassmann : L’Opera Seria – Printemps des Arts de Nantes ; Abbatiale carolingienne de Saint-Philbert de Grand Lieu, 30 juin 2010

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Photo : DR
 

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