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Compte-rendu : Merveilleuse alchimie - L’Amour des trois oranges à l’Auditorium de Dijon
Surréaliste avant la lettre, L’Amour des trois oranges, fable du dramaturge vénitien Carlo Gozzi (1720-1806), est influencé par la Commedia dell’arte. L’argument fournit à Prokofiev l’occasion de composer un opéra en quatre actes en français sur un livret de Meyerhold, créé au Lyric Opera de Chicago le 30 décembre 1921 grâce au soutien de Mary Garden (la Mélisande de Debussy). Si la farce est présente dans cette histoire d’initiation « abracadabrantesque », elle ne doit jamais masquer ni la dimension poétique ni le lyrisme semés tout au long d’une partition bondissante, d’un classicisme d’écriture venu de Rimski-Korsakov et même de Puccini, bien que contrarié par des dissonances significatives.
La production de Dijon joue à juste titre sur différents registres dans une mise en scène alerte et subtile de Sandrine Anglade, proche du conte pour enfants, mais aussi sensible au caractère philosophique de la pièce de Gozzi, arme de guerre contre l’opportunisme esthétique de Goldoni. Le prologue ou Tragiques et Comiques se chamaillent dans un charivari indescriptible au sujet du théâtre en présence des Têtes vides et des Ridicules est un véritable manifeste pour la défense de la Commedia dell’arte. Le dispositif scénique, très astucieux, avec des déplacements de praticables, ouvre ou ferme l’espace selon le déroulement d’une action haute en couleur.
A la tête d’un excellent Orchestre Dijon-Bourgogne et des chœurs des Opéras de Dijon et de Limoges, Pascal Verrot effectue un travail en profondeur. Il déniche dans la partition tout l’élan rythmique et le sens mélodique, maintient sans cesse la cohésion entre fosse et plateau et s’attache au dosage des timbres (y compris dans la célèbre Marche). La distribution vocale est de la même veine et l’on perçoit, tant par le sens du théâtre que par l’homogénéité des voix, toute une alchimie si difficile à réaliser dans cette œuvre d’une précision horlogère proche de celle de L’Enfant et les sortilèges de Ravel.
En Prince mélancolique, Martial Defontaine possède une belle clarté d’émission et un style parfait qui rendent crédible son personnage, faisant bonne mesure avec la limpidité de la voix de Katia Velletaz en Princesse Ninette sortie de la troisième orange. Le prétendant (Laurent Alvaro dans le rôle du Premier Ministre Léandre qui désire la mort du Prince) est plus noir que nature, et la maléfique Fata Morgana de Hélène Bernardy a du fiel dans la voix. La Cuisinière, rôle travesti interprété par Bernard Deletré (moins à son aise en Roi de trèfle) qui apparaît dressée sur un promontoire de tissu digne du Carnaval, caractérise la sorcière avec un réalisme confondant. Le Truffaldino (Conseiller du Prince) d’Eric Huchet est d’un comique irrésistible, et les autres protagonistes bien distribués. La scène finale où Fata Morgana entraîne les méchants Clarice, Léandre, Sméraldine dans les entrailles de la terre se révèle d’un onirisme saisissant. On sort de ce spectacle épatant à l’absurde omniprésent comme dans un rêve, en pensant au vers énigmatique d’Eluard : « la terre est bleue comme une orange ».
Michel Le Naour
Prokofiev : L’Amour des trois oranges - Dijon, Auditorium, 7 mai 2010
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Photo : Gilles Abbeg
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