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Compte-rendu : Monte-Carlo - Oiseau noir - Yakov Kreizberg dirige Stravinski
Yakov Kreizberg aime les contre-pieds. Tant de ses collègues font de Pulcinella un brillant exercice d’écriture néoclassique, sonore et sec, alors que lui allège tout, joue les transparences, cherche derrière les lignes brisées de Stravinski le dessin souple de Pergolèse. Cet admirable jeu de décalques traquait à chaque instant la poésie, suavement relayée par une Kenneth Tarver en état de grâce, qui de son ténor haut et fluide tend comme un miroir au chef. Excellente Renata Pokupic qui met beaucoup de passion à « se tu m’ami » sans oublier la fine ironie nécessaire, formidable Andrew Foster-Williams qui fait dans son air bouffe un vrai personnage, une trogne presque (mais bémol, il semble bien incongru de le reconduire pour le trio final.).
Aussi particulière que soit la proposition de Kreizberg pour sa Pulcinella, son étreignant Oiseau de feu nous la faisait immédiatement oublier. Dès le jardin de Kastchei, un tempo rapide et imperturbable crée une tension infernale qui ne se relâchera pas. Cet Oiseau de feu ne veut jamais être son décor, mais un récit plus noir, plus âpre qu’on l’entend habituellement. Sans aucun effet, mais avec une poigne sidérante, l’orchestre dit tout du conte, le colorant en sombre ; il traque l’incroyable modernité d’un texte qui réinvente l’art de Rimski-Korsakov pour mieux s’en libérer. La fluidité de l’ensemble donne l’impression d’être immergé dans un cauchemar, une sorte de vertige saisit, les immenses tsunamis sonores submergent, on finit littéralement broyé dans son fauteuil autant par l’émotion que par l’impact physique.
Une telle interprétation ne laisse pas indemne, et donne à voir un visage inconnu de l’œuvre. La salle debout, l’orchestre ovationnant le chef, décidément cela devient une habitude à Monte-Carlo depuis que Yakov Kreizberg exerce son magister. Une bonne nouvelle : le grand hommage rendu tout au long de la saison à Diaghilev se poursuivra au disque, et les premiers enregistrements édités par le Philharmonique (qui créée à l’occasion son propre label) seront consacrés à Stravinski, avec Petrouchka, L’Oiseau de feu, Le Sacre du Printemps et Pulcinella.
Jean-Charles Hoffelé
Monte-Carlo, Auditorium Rainier III, le 30 mai 2010
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Photo : DR
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