Journal

Compte-rendu : Passion et Crucifixion - Michel Bouvard joue Bach

Le septième des dix programmes de l'intégrale (ou presque) coproduite par le Théâtre des Champs-Élysées à Paris (orgue Aubertin de Saint-Louis-en-l'Île) et « la saison d'hiver » de Toulouse les Orgues (orgue Ahrend de l'église-musée des Augustins) était placé sous le signe de la Ville rose, avec aux claviers Michel Bouvard, titulaire du Cavaillé-Coll de Saint-Sernin de Toulouse et professeur d'orgue au CNSM de Paris. Confié à cinq organistes, ce cycle permet d'entendre chacun d'eux à deux reprises : après un récital, mi-décembre, consacré à l'Avent et à la Nativité, Michel Bouvard proposait mi-mars un « programme de carême » (mais copieux !) préparant à la fête majeure de Pâques.

D'un remarquable équilibre et surtout d'une saisissante progression, le cœur du programme, entouré de deux monuments, fut consacré aux six chorals de l'Orgelbüchlein traitant de la Passion (BWV 618-624) suivis de deux extraits du cycle de Leipzig (BWV 666 et 656) correspondant à ce temps de l'année liturgique. Le premier monument, le Prélude et Fugue en ut mineur BWV 546, fit entendre Michel Bouvard tel qu'en lui-même : d'une absolue sobriété mais plein d'allant (préférant sans doute prendre le risque de gommer un peu la dimension infiniment tragique du prélude plutôt que de s'appesantir, unifiant d'autant mieux, ce faisant, le prélude et la fugue, très contrastés), ductile et poétique, mettant à profit les infinies possibilités de couleur qui sont le propre de l'orgue sans chercher le mélange insolite. Michel Bouvard est pour ainsi dire « l'honnête homme » de l'orgue : ne jamais faire dire à la musique autre chose que ce qu'elle dit, directement ou implicitement, sans pour autant se tenir en retrait, mais avant tout communiquer l'émotion ressentie, merveilleux passage de l'individuel au collectif on ne peut plus en situation dans un programme de cette nature, où la « communauté » (des auditeurs, des croyants) participe, en vibrant, au récit de la Passion à travers la musique. Sous-tendre l'idée sans forcément la souligner avec insistance, et surtout ne pas vouloir à tout prix surprendre (ce qui n'est guère difficile à l'orgue tant la palette peut artificiellement s'y prêter) – cela ne veut pas dire que Michel Bouvard ne surprend pas : la preuve en fin de récital…

Il y eut après l'univers varié du choral un moment de détente-tension (la forme en trio est aussi jubilatoire à écouter que diablement périlleuse à jouer) avec la délicate Sonate en trio n°4, dont le premier mouvement notamment (qui reprend la Sinfonia de la Cantate BWV 76) fut un prodige de souplesse chantante et d'équilibre, de tendre vivacité et de juste mesure. Procédant pour ainsi dire par accumulation émotionnelle, Michel Bouvard referma ce programme avec le plus étourdissant de tous les Préludes et Fugues de Bach, le grand mi mineur BWV 548 : si le caractère poignant du BWV 546 avait pu sembler allégé au bénéfice du mouvement, le BWV 548 cumula indéniablement cette double dimension. Du tragique surhumain ou de l'extraordinaire énergie déployée, on serait bien en peine de dire ce qui dominait, l'interprète n'ayant ici d'autre choix que de se surpasser. Virtuosité et grandeur instrumentale à donner le vertige (ainsi les redoutables divertissements de la fameuse fugue « en ciseaux »), en parfaite symbiose avec le drame haletant se jouant sous nos oreilles : l'œuvre fut le splendide couronnement d'un récital achevé. Y a-t-il place pour un bis après un tel paroxysme ? A priori non. Seconde surprise, après la charge titanesque du BWV 548 : sur une registration d'une pureté, d'une densité et d'une projection quasi irréelles, Michel Bouvard déploya sur la nef pleine le bouleversant Crucifixus de la Messe en si mineur. De l'art de créer un climat qui peu à peu vous prend et ne vous lâche plus, et de le parachever dans l'ineffable. Bach, naturellement, y fut aussi pour quelque chose.

Michel Roubinet

7ème concert de l'intégrale de l'œuvre pour orgue de J.S. Bach, mardi 16 mars 2010 à Saint-Louis-en-l'Île, Paris.

Enregistré par France Musique, ce concert sera diffusé le mardi 30 janvier à 22 h 30 dans le cadre de l'émission Organo Pleno de Benjamin François, lequel consacrera prochainement à Michel Bouvard un Domaine privé.

Sites Internet :
Théâtre des Champs-Élysées, Paris : Bach « Hors les murs »
http://www.theatrechampselysees.fr/saison-liste.php?t=8

Toulouse Parie sur l’Orgue – Bach 2009/2010
http://www.toulouse-les-orgues.org/web//222-toulouse-parie-sur-lorguebac...

Organo Pleno / programme de mars à juin 2010
http://sites.radiofrance.fr/francemusique/em/organo-pleno/avenir.php?e_i...

Photo : © Patrice Nin

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Michel Roubinet

Photo : DR
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles