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Compte-rendu : Phare, persiennes, couveuse – Pelléas et Mélisande à l’Opéra Comique
La proposition de Stéphane Braunschweig a l’avantage de la simplicité. Elle en a aussi les vides – tous ses personnages sont presque transparents, jusqu’au Golaud de Marc Barrard qu’on a connu autrement habité – et n’évite pas le piège principal qui guette toujours les lectures scéniques de Pelléas et Mélisande : l’illustration. Ici on ne devrait jamais voir ce que disent les protagonistes, le chef d’œuvre de Debussy est absolument une œuvre irréaliste, que l’on voie l’enfant, que l’on voie Mélisande enceinte, que l’on voie même l’anneau sont autant de contresens. Littéralement l’œuvre parle à côté de ce que disent les personnages. Le terne réalisme des décors et des accessoires, pourtant économes, frôle le ridicule au dernier acte, lorsqu’il cumule Arkel dans son fauteuil roulant (inévitable tarte à la crème), Mélisande sur son lit d’hôpital, et comble du ridicule, l’enfant prématuré dans sa couveuse.
Si l’on fermait les yeux souvent, on les gardait ouvert pour la silhouette parfaite, l’élégance anxieuse de Phillip Addis, Pelléas encore fragile, quelque fois égaré dans son texte, mais à sa manière absolument génial. Il se déclare baryton mais il se trompe : il appartient à cette nouvelle race de ténor sombre et en cela tombe parfaitement dans la typologie vocale du rôle : Debussy avait écrit Pelléas ténor, c’est Perrier, le créateur, qui a changé la donne. Pour la première fontaine, pour le Parc, c’est un avantage insurpassable, et dès qu’il va à l’aigu la voix s’ouvre et étreint. Remarquable, émouvant, solaire et sombre.
Si Karen Vourc’h compose la plus naturelle des Mélisande, elle ne porte pas, même dans l’acoustique si aisée de l’Opéra Comique, une grand part de son texte et de ses notes se perd, et l’on ne peut accuser l ‘orchestre de la couvrir. Les interprètes d’Arkel détonnent souvent, mais Markus Hollop exagère, Dima Bawad nous refait non sans charme un Yniold féminin alors que l’on voudrait expressément y entendre un enfant. Outre Pelléas, la seule à tirer avec art son épingle du jeu fut Nathalie Stutzmann : sa lettre animée sans ostentation, expressive et distante à la fois, résolvait la quadrature de cet exercice impossible, le tout porté par une diction admirable : elle a écouté Claire Croiza, cela s’entend ; une telle culture du chant français est en elle-même un sacerdoce que plus personne n’ose pratiquer.
La vraie révolution de ce retour de Pelléas dans le lieu qui en vit la création, c’est l’orchestre. Même si Marc Minkowski avait in loco précédé la démarche philologique de Gardiner fêtant en 2002 le centenaire de l’œuvre, il n’avait pas osé une lecture aussi radicale. Texte évidemment intégral, - avec toute la scène Yniold/Golaud et les interludes complétissimes, seule vraie solution dont Gardiner convient enfin (à Lyon en 1986 il n’avait présenté que les versions raccourcies) – instruments d’époque qui tout à coup rendent évident le modernisme de l’écriture orchestrale de Debussy, exposent ses paradoxes et ses apories, soulignent avec précision et volupté sa poétique inaltérée ; mais il y plus, il y a la gestion du temps, quasi parsifalienne.
Gardiner a eu une idée de génie, donner à entendre le temps dramatique du livret, hors la langue de Maeterlinck est lente, et l’orchestre dont l’habille Debussy, plein de suspensions, souvent interrogatif, trouve enfin tous ses plis et ses lignes brisées dans ce tempo très vaste, qui ne perd jamais les chanteurs en les remettant dans le sens du texte.
Pour cela, mais aussi pour Stutzmann et pour Addis, il faut aller entendre, sinon voir, ce Pelléas.
Jean-Charles Hoffelé
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande – Paris, Opéra Comique, le 14 juin, puis les 16, 18, 22, 24, 27 et 29 juin 2010.
Mezzo retransmet le spectacle en haute définition le 24 juin à 20h.
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Photo : E. Carecchio
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