Ces deux-là étaient vraiment faits pour jouer ensemble ! Je veux parler du jeune patron de l’Orchestre de l’Opéra de Paris Philippe Jordan et du pianiste François Frédéric Guy. Après s’être d’abord jaugés avec les concertos de Beethoven, enregistrés et donnés en concert, ils ont poursuivi leur voyage sur le Rhin avec le 2e Concerto de Brahms, dans la vaste nef de la Bastille, dont les 2.700 places appartiennent à la plus belle salle de concerts de Paris (avec trois cents fauteuils de plus que la future Grande Philharmonie de Paris dont l’ouverture au public est annoncée pour … 2014 !).

L’accolade qu’ils se donnent à l’issue de cette heure d’intense musique ne doit rien à une quelconque singerie médiatique et tout au bonheur d’avoir livré de la belle ouvrage. La moindre vertu de ces deux vrais musiciens n’aura pas été d’avoir su associer l’Orchestre de l’Opéra à ce voyage marqué par des échanges quasi chambristes entre le pianiste et les instrumentistes maison. Il faut l’entracte pour digérer ce bain de poésie incandescente et se préparer à affronter les giclées de fiel de l’écorché vif Chostakovitch dans sa 15ème Symphonie.

L’ultime chef-d’œuvre reste une énigme emblématique de toute la création de ce géant dont ni les avanies des jaloux, ni les oukases politiques n’ont réussi à museler l’inspiration. A la manière du peintre James Ensor, lui aussi avance masqué. Et lui aussi choisit ses masques non pour leur fixité mortelle, mais pour leur expressivité décalée. Le digne fils d’Armin Jordan prend un malin plaisir à soulever le coin du masque, mais pas trop, car allez donc savoir où se cache l’essentiel chez ce diable de Chostakovitch ! Garder la clarté de la composition, tout en préservant l’ambiguïté de la démarche, c’est du grand art que les musiciens de l’Opéra de Paris savent traduire au mieux.

Jacques Doucelin

Paris, Opéra Bastille, 18 janvier 2011

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Photo : DR