On était curieux de l’arrangement proposé par Anderszewski de trois des Etudes en forme de canon de Robert Schumann. Allait-il se démarquer des transcriptions si subtiles coulées pour deux pianos de la plume du jeune Debussy ?

On n’en saura rien, l’artiste les ayant remplacées au dernier moment par les trois Mazurkas, op 59 de Chopin. Boulées, crispées, remplies d’idées jusqu’au débord, avec des gestes qui par-dessus les notes semblaient envoyer en l’air les marteaux eux-mêmes, ces Mazurkas bataillées et incertaines – même de texte – auguraient du pire : un de ces soirs où Anderszewski ne contrôle plus ni ses doigts ni sa pensée.

Suivait une Sixième Partita plus tenue, mais trop gratuitement frôlée par l’aile du bizarre à tout prix. Des idées oui, mais pour quoi en faire ? Plus délicat encore : le son insupportait au-delà du mezzo piano, durci, vite saturé, conséquence inévitable d’une tension qui nouait les épaules du pianiste et raidissait visiblement ses bras.

Entracte

Puis libération ; Anderszewski retrouve dès les premières notes de Dans les brumes son sens de l’interrogation en musique, invente à nouveau ces sfumatos fuligineux dont il a le secret. Tout est revenu, la poésie et la réflexion, enfin traduits dans un piano timbré, diseur, subtil. Les fantasmagories de Janacek y trouvent un surcroît de sens, habitées, transcendées comme jamais depuis la poésie plus allusive qu’y mettait Rudolf Firkusny.

Le sommet sera l’Opus 110 de Beethoven, construit avec un art suprême, mais surtout divagué, cherchant dans le creusement du son la raréfaction d’un univers quasi lunaire, jusque dans cette fugue ovni qui ne couronne plus mais continue le voyage, libre, transcendée, à sa manière aussi poétique, aussi lyrique que tout le reste de la 31e Sonate.

Salle enfin transportée pour deux bis : deux doïnas de la frontière roumaine fixées par Bartok et un Bach, lunaire à nouveau.

Jean-Charles Hoffelé

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 13 mai 2009

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Photo : DR