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Compte-rendu - Tristan et Isolde à Angers - Noir c’est noir
Un parfum de gageure flottait au Quai : le Tristan d’Olivier Py, conçu pour le plateau infini du Grand Théâtre de Genève, allait-il pouvoir se loger sur la scène d’Anger et surtout déployer sa noire poésie ? C’était sans compter le diabolique pragmatisme de Pierre-André Weitz, redistribuant son navire du I pour l’y faire entrer, réglant avec un peu de sorcellerie cent détails relevant autant du sens pratique que de la magie.
Vue de près, vue presque dedans grâce au fin rapport salle -scène du nouveau complexe scénique de la ville du bon Roi René, les arcanes tristes de ce spectacle implacable prennent autant au cœur et à l’âme que lors de sa création. Le souffle vous manque, la gorge se noue, les yeux s’étrécissent sous les larmes, on voudrait parfois fuir le théâtre pour ne pas revivre autant d’émotion, mais Wagner vous tient rivé à la chaise et vous torture quatre heures durant tout autant qu’Olivier Py.
Une imprudente pythie nationale avait annoncé qu’au bord de la Maine la troupe serait tout aussi terne qu’à celui du Rhône : elle avait tort. La distribution assemblée par Jean-Paul Davois et Claude Cortez a réussi un singulier tour de force : l’Isolde de Sabine Hogrefe, venue de Brême et déjà en route pour Bayreuth, où elle arrivera l’été prochain montre tous les visages du personnage : la sorcière du I, dangereuse, amère, folle, l’amoureuse du II, rajeunie, impatiente, éperdue, et par delà la mort l’amante panthéiste que raconte le Mild und leise. Voix haute, mais nourrie d’un grave rayonnant, aigus dardés mais pleins, médium ample qui caractérise un allemand expressif, subtilement musical, Hogrefe peut prétendre à la succession nécessaire de Waltraud Meier.
Tristan, celui du Mariinsky par parenthèse, a presque tout : le métal, la puissance, l’expression, la voix simplement du vrai Heldentenor, mais pas la ligne. Pourtant Leonid Zakhozhaev nous emporte très loin au III, longue hallucination sans trêve que Py peuple des ses fantômes lacustres : Tristan enfant et sa mère, étrange Dame du Lac, mettent en scène un songe arthurien dont les années ont encore augmenté la puissance suggestive. Une Brangäne émouvante, timbre clair, expression à fleur de cordes, et des appels avec déjà un parfum d’au-delà, sublimait Isolde elle même, mariage exemplaire de deux voix en miroir, et de silhouette, de geste Martina Dike reste une sobre tragédienne.
Jyrki Korhonen assaisonne un peu trop son Roi Marke des accents de Faffner, mais il le chante ici pour la première fois : la ligne est admirable, le grain de voix, noir, serré, évoque Kurt Moll, la justesse ici ou là délicate. Prise de rôle aussi pour Kurwenal, mais en forme de révélation : Alfred Walker possède un baryton gorgé d’harmoniques, déploie à l’égal profondeur de souffle et variété de couleurs ; l’acteur est sidérant de naturel à l’égal du Melot dangereux d’Eric Huchet vraiment chez lui dans Wagner : qu’il puisse y persévérer jusqu’à ce Loge qu’on lui entend déjà, d’élan, d’aplomb, de timbre. Jusqu’au Marin-Berger de Christophe Berry, déjà formidable à Montpellier mais plus poète encore ici, et au Pilote d’Eric Vrain, Wagner tenait son univers.
En fosse John Axelrod, futur patron fraîchement nommé de l’Orchestre National des Pays de Loire, dirige vite et droit, privilégiant le théâtre avant tout, aidé par une phalange qui étonne par son engagement dans une partition redoutée : il est vrai qu’Olivier Py se gardait pour lui seul la poésie, nous en assiégeant sans cesse.
Jean-Charles Hoffelé
Richard Wagner : Tristan et Isolde - Angers, Théâtre le Quai, le 10 mai, représentations suivantes le 13 et le 16 mai, puis à la Cité des Congrès de Nantes les 26 et 29 mai et le 2 juin et à l’Opéra de Dijon les 14 et 17 juin 2009.
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Photo : Jef Rabillon / Angers Nantes Opéra
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