Chaque retour de cette Bohème signée Jonathan Miller transporte son lot de nostalgie. Il est peu probable que le metteur en scène soit revenu pour en régler l’évident ballet, cette chorégraphie des âmes qui au tableau final disperse le cercle des amis, leur faisant tourner le dos à la mort et s’enfermer dans leurs propres solitudes. Au fond l’évidence de sa régie a produit un des plus solides spectacles qu’ait vu naître le plateau de Bastille, l’un des plus usuellement routinier et des plus constamment émouvant. Routinier car rien n’est en plus dans cette Bohème, rien n’y est inattendu. Ce pourrait être quasiment La Bohème de tout le monde, mais ce n’est vraiment que la sienne. L’art se dissimule derrière une simple lecture, et à l’économie dessine des personnages singuliers. Secret d’une direction d’acteur invisible, car elle laisse une marge à l’interprète pour voir son personnage et le réaliser.

Stefano Secco s’empare de cette liberté et campe un Rodolfo loin des élans juvéniles dont on l’affadit couramment. Très entre deux âges, très inquiet, très lucide même dans l’amertume de sa jalousie ou la certitude du mal dont est atteinte sa Mimi. Remarquable performance d’acteur qui laisse le chanteur à la limite de ses moyens vocaux ; ses messa di voce détimbrées disent assez que pour Puccini son ténor reste un peu pauvre en harmoniques, son timbre pas assez solaire.

Tamara Iveri est la plus anodine, la plus évidente des Mimi, sans minauderie mais sans dimension tragique également. Cette simplicité mariée à la composition de Rodolfo accentue encore le côté brève rencontre de leur histoire d’amour. Le II, chez Momus, dans ce grand appareil de décor que Dante Ferretti a conçu comme les deux autres modules afin que tout les chanteurs soient au devant de la scène, pour chercher le contact intime avec le public (une utopie à Bastille, qui reste pourtant une jolie idée, laquelle a fait florès : Sellars aurait monté son Tristan dans la salle s’il avait pu), était idéalement brillant, sans vulgarité, pimenté par des enfants très en verve et emmené avec esprit – Dessay en Musette qui fait tout de suite un vrai personnage, lequel prend toute son ampleur lors des deux tableaux suivant –, avec surtout cette électricité que Daniel Oren sait convoquer d’un geste. Toute la troupe était à féliciter, le Marcello de Tézier en tête, assez formidable lors de sa fâcherie avec Musette à la barrière d’enfer (deviendrait-il acteur ?), et comment ne pas voir l’absence de ridicule que Rémy Corraza donnait à Alcindoro, plus du tout un élément comique mais un vrai personnage soudain. Toute la soirée était brodée de cet art subtil.

Jean-Charles Hoffelé

G. Puccini : La Bohème – Paris, Opéra Bastille, le 3 novembre, puis les 6, 9, 12, 15, 18, 21, 24, 27 et 29 novembre 2009

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Photo : Opéra national de Paris/ Ch. Leiber