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Compte-rendu : Une Bohème polyglotte – 30e Festival de Saint-Céré
Il en va des institutions culturelles comme des individus : c’est dans l’adversité qu’elles font la preuve de leurs capacités réelles. Pour fêter ses trente ans à la tête du Festival de Saint-Céré et les 25 ans d’« Opéra éclaté », organisme d’insertion professionnelle de jeunes chanteurs, Olivier Desbordes a programmé dans la cour du somptueux château de Castelnau-Bretenoux la version française de La Bohème de Puccini destinée à l’Opéra Comique deux ans après la création turinoise de 1896.
Excellente initiative qui favorise la compréhension de l’action au plu près… à condition qu’aucun interprète ne flanche. Or, à moins d’une semaine de la première, le ténor a déclaré forfait…
Mais si tous les ténors du monde ont Rodolfo à leur répertoire, c’est en italien… pas en français ! Un habitué de Saint-Céré, le Bolognais Andrea Giovannini, affiché par ailleurs cet été dans le rôle de Medina de La Belle de Cadix, a accepté de relever le défi, mais en italien le temps ayant manqué pour l’apprendre en français. .. Inutile de vous dire qu’au soir de la première, chacun chantait sur des œufs. Grâce à la qualité du travail musical et scénique effectué en amont et aux efforts de chacun, il n’y eut pas trop de casse à déplorer.
Certes, l’affrontement vocal initial entre un Marcel s’exprimant dans un français magnifiquement compréhensible – Christophe Lacassagne - et un Rodolfo belcantiste chantant dans la langue originale et maternelle à la fois, en a surpris plus d’un. Une manière de retour aux pratiques les plus détestables du vieil Opéra Comique où l’on a pu dénombrer jadis jusqu’à cinq idiomes différents pour un Boris Godounov ! Là, il n’y en a heureusement que deux. C’est dans les duos de Mimi et de Rodolphe que le déséquilibre est le plus gênant.
Tout cela s’explique, bien sûr, par l’influence de la langue sur l’émission vocale du chanteur. On ne sait qui plaindre le plus d’Andrea Giovannini dont l’italien ouvre à plein les vannes d’une voix qu’il peine à contenir, ou d’Isabelle Philippe dont le timbre s’assourdit – au début surtout – sous l’amoncellement des consonnes et des diphtongues… Ils restent étrangers l’un à l’autre durant tout le duo du premier acte où ils semblent vraiment ne pas comprendre ce que l’autre chante… Mais le miracle a lieu et les interprètes comme le public réussissent peu à peu à vaincre le handicap de la multiplicité des langages. Ce qui nous fait également réfléchir au rôle essentiel du choix de la langue à l’opéra : c’est non seulement le vecteur de la compréhension immédiate pour le public, mais aussi la révélation d’un style d’interprétation. C’est ainsi que les mots mêmes choisis par l’adaptateur français soumettent l’ouvrage aux lois de l’opéra comique français d’où le comique n’est jamais absent, même dans Carmen.
Olivier Desbordes s’est précipité sur cette conception en soulignant dans sa direction d’acteurs le côté farce d’étudiants. Il en a profité pour sacrifier à ses chers démons qui le portent naturellement du côté du cabaret et de la caricature. Le Café Momus n’est pas si différent du cabaret du troisième acte : comme dans la musique, tragique et comique se côtoient. A la fin, le metteur en scène refuse même de montrer la mort de Mimi qui s’endort en souriant assise sur une chaise comme quelque sainte laïque perdue dans son rêve d’amour…
A soir de la première, c’est la Musette de la Portugaise Eduarda Melo qui l’emporte par la qualité de son chant comme de son jeu. Mais tous les autres savent lui renvoyer la balle, le Marcel de Christophe Lacassagne, le Colline de Jean-Claude Sarragosse et le Schaunard d’Alain Herriau. A la tête de l’orchestre du Festival, Dominique Trottein, joue la prudence sans cesser de soutenir ses chanteurs. Les choeurs sont plus décevants.
Jacques Doucelin
Château de Castelnau : 28 juillet ; prochaines représentations les 3, 7, 9 et 12 août 2010
05 65 38 28 08
www.opera-eclate.com
Tournée 2011 : Cahors, 19 janvier, Martigues, 22, 23, Maisons-Alfort, 4 février, Grenoble, 11, Saint Louis, 18, Massy, 3, 5 6 8 mars, Odyssud-Blagnac, 24, Carcassonne, 26, Plaisir, 2 avril, Clermont-Ferrand, 9, Chassieu, 15, Rodez, 20, Le Chesnay, 29, Juvisy-sur-Orge, 30 avril.
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Photo :
La Bohème - crédit : Nelly Blaya de gauche à droite : Andrea Giovannini (Rodolphe) - Isabelle Philippe (Mimi)
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