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Concert d'installation de Karol Mossakowski à Saint-Sulpice - A sa juste place – Compte-rendu
Passionné de musique française depuis sa prime jeunesse polonaise, Karol Mossakowski a toujours su que sa place était en France. Découvrant Widor ou Dupré (à eux deux titulaires de 1870 à 1971 !), on imagine qu'il a dû espérer venir un jour en pèlerinage à Saint-Sulpice, peut-être à l'occasion d'un voyage d'étude – l'illustre tribune reçoit des visiteurs émerveillés du monde entier – avec, comble d'honneur et de bonheur, éventuellement la possibilité de toucher le mythique Cavaillé-Coll. De là à imaginer en devenir un jour titulaire… Or ce rêve, s'il osa jamais le formuler, est devenu réalité : en réponse au père Henri de La Hougue, curé de Saint-Sulpice, lui demandant le nom d'un jeune organiste de talent, Daniel Roth a été magnifiquement inspiré de proposer celui de Karol Mossakowski, précédemment et à plusieurs reprises invité en récital, lequel a donc pris ses fonctions en février (1).
Le 8 juin, il donnait son concert d'installation, tout simplement prodigieux et devant un parterre des grands soirs : la longue et chaleureuse double standing ovation en dit long sur l'impact produit par un tel musicien sur une assistance médusée par un art déjà en pleine maturité, une maîtrise confondante de l'instrument, de l'acoustique, de l'esthétique, de l'esprit du lieu, comme s'il y jouait depuis toujours. Un destin. Nul doute, Karol Mossakowski est à sa juste place à Saint-Sulpice, absolument et instantanément dans son élément, comme l'a souligné Pierre-François Dub-Attenti, président de l'AROSS. L'histoire de cette grande tribune continue de s'écrire, dans la diversité et sans rupture, laquelle s'enorgueillit aujourd'hui de faire alterner aux claviers du grand orgue trois générations de splendides musiciens : Daniel Roth comme titulaire émérite, fort heureusement toujours bien présent, Sophie-Véronique Cauchefer-Choplin et Karol Mossakowski comme titulaires – Louis Jullien étant titulaire de l'orgue de chœur, un Cavaillé-Coll de 1858 parfaitement conservé.
Difficile de rêver concert plus impressionnant et humainement émouvant. Hommage à l'école française avec en guise de premier feu d'artifice le Prélude et fugue en si majeur op. 7 n°1 du jeune Dupré, fantastique carillonnement de bienvenue. Ou comment le talent affirmé de Karol Mossakowski pianiste lui permet à l'orgue une diversité d'enfoncement de la touche – quand bien même le principe sonore est évidemment tout autre – autorisant un toucher infiniment modulé et chantant, à même de faire parler toutes les familles de jeux de façon optimale, telle une pure et tactile empathie envers l'admirable console en amphithéâtre de Cavaillé-Coll.
Le Cavaillé-Coll (1862) de l'église Saint-Sulpice © Mirou
De César Franck, qui à la mort de Lefébure-Wely rêva de Saint-Sulpice, suivit un éloquent et bouleversant Choral n°2, dynamiquement symphonique non pas au seul sens de l'orgue se faisant orchestre par le biais des timbres, ce qui serait ici presque une banalité, mais bien de l'intention d'un chef inspiré guidant ses musiciens dans une approche respectueuse mais personnelle d'un texte ressenti au plus profond, rehaussé de mille subtilités agogiques, retards à peine perceptibles pour mieux réintégrer la carrure originelle du rythme noté, tonifié par ce qu'il faut de liberté. L'auditeur s'en trouve transporté par une quasi-écriture sur le vif, franche et spontanée, d'une dimension dramatique de haute lignée.
Entre Franck et Widor, une improvisation – Karol Mossakowski est aussi compositeur – fit entendre le Cavaillé-Coll (en grande forme !) autrement : léger, délicatement timbré, source fluide et vivifiante de chants d'oiseaux, respiration hors du temps poétiquement intégrée au rythme de la soirée. De Widor, la Cinquième Symphonie en entier, telle que conçue à Saint-Sulpice bien que créée au Trocadéro. Tempos vifs, savamment évalués pour une écoute optimisée en fonction de l'acoustique, gestion du temps musical toujours en mouvement, palette de timbres et de nuances dynamiques évoquant plus que jamais l'orchestre, intimement à l'écoute de son chef, déployant un récit structuré mais surtout vivant, frémissant, lyrique, plus que parfait de style. Ultime respiration extatique, Adagio sur les sublimes gambe et céleste de Saint-Sulpice, et cette flûte de 4 pieds qui vient du ciel, puis ce fut « la » Toccata, saisissante d'aplomb et tout sauf démonstrative, vibrante d'endurance sous les doigts de qui la recréait. L'ovation fut immense, toute admiration et respect pour ce musicien d'à peine plus de trente ans si grandement et sobrement digne des lieux. La retransmission sur écran et en streaming fut plus que jamais à l'unisson de la musique. Il arrive que ce que l'œil perçoit contredise ou dérange ce que l'oreille reçoit. Rien de tel avec Karol Mossakowski, dont l'aisance si concentrée et la souple gestuelle participent indéniablement de l'interprétation musicale, en un tout harmonieux.
Trop de compliments ? Que ceux qui le penseraient se précipitent sur le site de l'AROSS (2) pour découvrir à leur tour cette soirée d'ores et déjà ancrée dans la mémoire, tout en songeant qu'être physiquement plongé dans l'acoustique du lieu est une expérience naturellement irremplaçable : ils verront que tout ce qui précède est en deçà de la vérité. Après un tel programme, seul Bach pouvait se plier avec la hauteur requise au rituel du bis : double version du Liebster Jesu, wir sind hier de l'Orgelbüchlein, vision par le timbre et la structure magistralement contrastée et d'une très envoûtante présence. On imagine, impatients déjà, quelle base d'un premier enregistrement – Bach à Saint-Sulpice – elle pourrait constituer. Seconde standing ovation, ferveur émue et reconnaissante.
Michel Roubinet
Paris, église Saint-Sulpice, 8 juin 2023
Sites Internet
Karol Mossakowski
karolmossakowski.com
AROSS (Association pour le rayonnement des orgues Aristide Cavaillé-Coll de l’église Saint-Sulpice)
www.aross.fr
(1) www.concertclassic.com/article/changement-au-grand-orgue-de-saint-sulpice-tradition-et-renouvellement
(2) www.youtube.com/watch?v=ZVrimscxYWY
Photo © Marie Rolland
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